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À la recherche du duende

Le miel est plus doux que le sang ou la jeunesse de Dalí, Buñuel et García Lorca.

Gunther Gamper

En 1922, dans la résidence pour étudiants de Madrid (Residencia de Estudiantes,  ndlr) a lieu une rencontre décisive dans le parcours de trois futurs artistes à la renommée internationale. Les destins du jeune peintre Salvador Dalí, du poète Federico García Lorca et d’un étudiant en entomologie, Luis Buñuel, se croisent en plein cœur des années folles. Le tout dans un climat d’agitation politique et de léthargie culturelle à la suite du désenchantement provoqué par le déclin de l’Empire espagnol. À tour de rôle ils s’influenceront, s’aimeront, se jalouseront. Pour notre plus grand bonheur, la pièce Le miel est plus doux que le sang retrace ces péripéties, entre les murs du Théâtre Denise-Pelletier. Ils y feront aussi la connaissance de Lolita, chanteuse de cabaret révolutionnaire, incarnant une conscience politique fictive qu’ils n’ont pas encore, qui sera leur muse et « les guidera sur les chemins de l’imprudence et de l’insoumission. »

Gunther Gamper

Tension créatrice

Créée au Théâtre de La Licorne à Québec en 1995, la pièce coécrite par Simone Chartrand et Philippe Soldevila est revisitée par Catherine Vidal, qui a réaménagé le texte ainsi que les chansons afin de l’adapter à un nouveau public. Elle a pris soin de respecter les limites temporelles du texte original des années 1919 à 1923, la période durant laquelle les trois artistes sont en train de devenir ce pourquoi leurs noms résonnent encore aujourd’hui. Le défi est relevé avec succès : la mise en scène représentant adroitement  les enjeux de la pièce. Le décor unique que représente le bar Le Ritz, lieu de rassemblement des quatre amis, tient à la fois du rêve et de la réalité. Dans ce lieu censé évoquer l’atmosphère d’un bar chic des années 1920, on retrouve un éléphant dalinien au fond de la scène. Une partie des coulisses est visible au public, un élément scénographique pourrait symboliser les rouages de la création artistique des trois jeunes hommes. Ils sont encore en train de se définir non seulement en tant qu’artistes, mais également en tant que citoyens politiques. L’espace scénique situé devant le rideau est également utilisé par les comédiens qui brisent le quatrième mur à plusieurs reprises en faisant participer le public à l’action de manière plus ou moins directe. 

Dans une entrevue accordée au Devoir, Catherine Vidal évoque son désir que chaque comédien ait « déjà un petit quelque chose de son personnage. » Ainsi, la fantaisie et la timidité du jeune Dalí sont très bien incarnées par Simon Lacroix, ainsi que « l’intensité romantique » de García Lorca par Renaud Lacelle-Bourdon et « l’ancrage terrien » de Buñuel par François Bernier. 

« À tour de rôle ils s’influenceront, s’aimeront, se jalouseront »

Le spectacle est bien rythmé, alternant des moments énergiques et des scènes plus calmes. Ce mouvement de balancier représente avec justesse le tempérament artistique des trois personnages, qui oscille sans cesse entre l’euphorie créative et l’abattement, le calme et la violence, dans une tension permanente. Dans le programme de la pièce, Catherine Vidal explique qu’elle a voulu faire du plateau « le lieu sensible où serait traduit scéniquement la passion, le doute, le désir d’excellence, les remises en question, tout ce qui mobilise, se convoque chez l’être humain lorsqu’il veut prendre la parole artistiquement. » Et elle ajoute : « C’est une célébration de la force de l’art dont il est question ici. » À travers sa mise en scène, Catherine Vidal est peut-être elle aussi partie à la recherche du duende, défini par García Lorca comme un état de transe créatrice, né de la lutte de l’artiste avec son démon intérieur et dans lequel le créateur exécute son art à la perfection.


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