Jeudi 22 octobre, l’émission « Enquête » de Radio Canada a créé l’émoi en mettant en lumière les violences faites aux femmes autochtones de l’Abitibi (une région au sud du Québec). Dans une succession de témoignages alarmants, les femmes rencontrées par « Enquête » racontent à visage découvert les sévices infligés par des policiers en charge de leur protection dans la ville de Val‑d’Or. Elles racontent, entre autre, comment des officiers auraient régulièrement embarqué des femmes la nuit pour les conduire dans les bois, où elles étaient contraintes de performer des actes sexuels sous peine d’être violentées. Bianca Moushoun rapporte avoir reçu « 100 pièces pour le service et 100 pièces pour que je ferme ma gueule ». Elle avait déjà porté plainte en 2006, lorsqu’elle était mineure, car des officiers lui avaient cassé le bras. Mais sa plainte n’avait pas reçu de suite. Priscillia Papatie, elle, affirme qu’un policier aurait brisé son portable et jeté ses chaussures dans la neige avant de l’abandonner seule au bord de l’autoroute, à plus d’une heure de chez elle. Les victimes sont toutes des femmes des Premières Nations.
Les allégations d’abus de pouvoir et agressions sexuelles choquent non seulement par leur gravité mais surtout par leur prise en charge. Ces violences seraient perpétrées régulièrement par une poignée d’officiers depuis des années. Les dossiers examinés recensent des évènements arrivés entre 2002 et 2015. Douze des victimes ont porté plainte contre la Sûreté du Québec (SQ) le 15 mai 2015, le lendemain de leur rencontre avec les journalistes. L’enquête était menée par la SQ au sein de… la SQ. Les allégations ont été rapportées au ministère de la sécurité publique, comme le veut la procédure, mais les policiers visés sont demeurés en fonction. C’est uniquement après les révélations de Radio Canada que la Ministre de la sécurité publique, Lise Thériault, est intervenue. L’enquête a été transférée au Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM) et les huit policiers impliqués ont été suspendus. La direction du poste de Val‑d’Or a également été confiée par intérim à la capitaine Ginette Séguin.
Malheureusement, ces faits représentent seulement la partie émergée de l’iceberg. Le Centre de l’Amitié Autochtone rapporte d’ailleurs que plus de femmes sont venues présenter de nouvelles accusations depuis la diffusion du reportage. Edith Cloutier (Directrice du Centre de l’Amitié), explique qu’il ne s’agit pas simplement d’un problème au niveau de certains individus. Ces incidents s’inscrivent dans un cadre plus général, dans la « culture dans laquelle l’autorité policière interagit avec les autochtones ». En effet, les femmes autochtones violentées sont souvent des femmes précarisées et donc vulnérables. Elles sont perçues comme non-crédibles (les agresseurs choisissent généralement des femmes alcooliques ou des travailleuses du sexe) et sans réseau. Comme elles n’ont pas confiance en un système qui non seulement échoue à les protéger mais perpétue lui-même certaines violences, elles doivent trouver d’autres manières de se défendre. Edith Cloutier souligne leur capacité à se lier entre elles et à briser le cycle du silence, comme le montre la vague de dénonciations cette semaine.
Ces événements braquent une fois de plus le projecteur sur les femmes autochtones disparues ou assassinées. Depuis les révélations, la famille de Cindy Ruperthouse (qui témoigne également dans le reportage de Radio Canada) a enfin été contactée par les enquêteurs, dont elle était sans nouvelles depuis des mois. Bien que Cindy ait disparu en avril 2014, son dossier prenait depuis la poussière, comme pour des centaines d’autres femmes autochtones. Au cours de la semaine dernière, Justin Trudeau a promis une enquête nationale sur ces femmes disparues ou assassinées. Les partis québecois d’oppositions (PQ et CAQ) demandent une enquête provinciale suite aux incidents de Val‑d’Or. Il faut dans tout les cas que ce scandale, quelques jours seulement après son élection, rappelle au futur Premier ministre l’urgence de tenir ses promesses sur la sécurité des femmes autochtones. Il est inadmissible de tarder plus longtemps à leur rendre justice.