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Gilles Duceppe

Bloc Québécois | Laurier — Sainte-Marie

Frédérique Lefort | Le Délit

Le Délit (LD): Dimanche 27 septembre, les élections régionales en Catalogne ont donné vainqueurs les partis indépendantistes, pensez-vous que l’indépendance de la Catalogne pourrait redonner de la vigueur à l’élan souverainiste au Québec ?

Gilles Duceppe (GD): Je pense qu’il est toujours heureux de voir des nations lutter pour ce qu’elles sont, afin de se donner les moyens de s’épanouir. C’était le cas en Écosse : ils n’ont pas gagné leur référendum mais ils ont fait un excellent score à Westminster par la suite. Là, ils ont gagné en termes de sièges, ce qui est intéressant. Aussi, lorsque les chefs des autres partis, durant le débat en français, disaient que la souveraineté est une « question dépassée », je crois qu’ils devraient appeler Madrid pour considérer si c’est une question qui se pose, et appeler Cameron à Westminster pour savoir quel est son avis. 

LD : Au-delà même de la souveraineté, en quoi les positions du Bloc Québécois sont-elles actuelles et susceptibles de toucher la population étudiante ?

GD : Regardez, moi je pense à la question de l’environnement, en premier lieu. Les jeunes sont particulièrement sensibles à cette question là. Or, on se rend compte que les trois partis fédéralistes sont pour l’oléoduc d’Énergie-Est et pour le train de transport de pétrole allant au Nouveau-Brunswick. C’est 240 wagons par jour qui traverseraient le Québec —du même type de ceux qui ont déraillé à Lac-Mégantic—, pour du pétrole qui n’est ni conservé, ni raffiné au Québec ! Comment peut-on prétendre vouloir défendre l’environnement comme M. Mulcair et M. Trudeau l’ont dit, et appuyer ces projets ? Il est vrai que M. Mulcair —Thomas au Québec—, laisse entendre qu’il veut reconsidérer les choses, mais Tom au Canada anglais, au Woodrow Wilson Centre a été très clair là-dessus : la priorité c’est Énergie-Est. Donc Tom et Thomas n’ont pas le même discours selon qu’ils parlent au Canada ou au Québec.

LD : À McGill, chaque année au début de septembre, on a une semaine des Premières Nations, et il se trouve selon nous, qu’on a peu parlé d’elles durant la campagne. Pourquoi selon-vous, et quels sont vos positionnements à ce sujet ?

GD : Aux débats, ce n’est pas nous qui décidons des questions, ce sont les journalistes. Pour ma part, j’ai rencontré Ghislain Picard, le chef des Premières Nations du Québec, j’ai parlé aux représentants Inuits également, qui ne se considèrent pas comme Premières Nations, mais comme une nation distincte. Il faut se rappeler que c’est seulement au Québec que les Premières Nations sont reconnues comme telles, depuis 1985 sous René Lévesque. Il n’y pas d’autre législation au Canada qui ait passé de loi pour les reconnaître comme tels. Et le meilleur traité qui existe à l’échelle de la planète avec les Premières Nations, c’est certainement la Paix des Braves (entente signée entre le Québec et la nation Crie en 2002, ndlr). Or, pour moi, il faudrait considérer le fait qu’il faut investir dans le logement pour les Premières Nations, parce qu’il y a un taux de naissance vraiment très supérieur à la moyenne canadienne et québécoise. Il faut qu’il y ait une enquête sur la disparition et l’assassinat de plusieurs femmes autochtones. Enfin, il faut faire en sorte que le Canada accepte de signer la déclaration des Peuples Autochtones aux Nations Unies. 

LD : Votre position sur le port de niqab diffère de celles du NDP et du Parti Libéral.

GD : Et des conservateurs aussi !

LD : Il semble que nous touchons là à une différence majeure entre deux visions du vivre-ensemble, celles du multiculturalisme et de l’inter-culturalisme, que vous revendiquez.

GD : Nous, c’est depuis l’an 2000 que l’on discute cette question, bien avant qu’elle se pose dans cette campagne. Nous avons fait des recommandations à Bouchard-Taylor (Commission de consultation sur les pratiques d’accommodements reliées aux différences culturelles créée en 2007, ndlr) qui les a reprises. Les positions de Bouchard-Taylor étaient celles du Bloc, à savoir les personnes qui représentent l’État, l’autorité ou un pouvoir de coercition ne doivent avoir aucun signe religieux ostentatoire : les policiers, les juges, les gardiens de prison, les greffiers et ainsi de suite. Et ça doit toujours être à visage découvert. Or, les conservateurs dans un seul cas, celui de l’assermentation, s’opposent à ce qu’elle se fasse à visage couvert. Mais cela arrive une fois dans la vie ça. Ils sont pour le vote à visage couvert et pour l’exercice de la fonction publique à visage couvert. En fait, on se rend compte que l’immense majorité des Québécois et des Québécoises, 93%, y est défavorable. Ça va contre la motion unanime de l’Assemblée Nationale et contre l’avis des Maires de Montréal, Québec et Saguenay, donc il y a rupture entre les conservateurs, les libéraux, les néo-démocrates, et l’opinion des Québécois et des Québécoises. Il faut être clair sur ces questions : il s’agit de la place de la femme dans notre société. Il ne faut pas que les femmes s’effacent de l’espace public. 

LD : Le 20 septembre, vous avez proposé d’augmenter de 182 à 300 millions de dollars le budget du Conseil des arts. Pourquoi selon vous la culture doit redevenir une priorité ?

GD : Parce que je vous dirais que c’est l’âme et l’expression d’un peuple. Vous savez, ce que j’ai entendu de plus beau en cette matière, c’est Winston Churchill durant la Seconde Guerre mondiale. Les Anglais manquaient d’argent bien sûr, et devaient faire des sacrifices pour s’opposer au nazisme. Lorsqu’on lui a proposé de couper en culture, il a refusé en disant “si on coupe en culture, pourquoi ferions-nous la guerre alors?” Ça en dit long ça ! 

D’autre part, l’argent investi en culture rapporte plus que dans la plupart des secteurs économiques. Dans le cinéma par exemple, ce n’est pas seulement des acteurs, c’est également des menuisiers, c’est le transport, c’est la nourriture, c’est énormément de gens. Je pense qu’il est bon de préserver sa culture et de comprendre qu’il faut la développer. C’est important pour l’affirmation de toute nation, de la nation canadienne autant que la nation québécoise et c’est important également pour l’économie.

LD : On va revenir un peu dans le temps. Vous étiez directeur du Quartier Latin, le journal étudiant de l’ UdeM, de 1970 à 1971. Que retirez-vous de cet engagement étudiant ?

GD : Pour moi, vous savez, c’était les premiers engagements. J’étais président de mon collège au Mont-Saint-Louis et j’ai lutté pour la création des cégeps. Je suis le premier membre fondateur du Cégep du Vieux-Montréal. J’ai lutté pour la création de l’Université du Québec à Montréal. J’ai mené des luttes dans le mouvement étudiant avec Claude Charon, Louise Harel, Jean Doré, Bernard Landry, tous ces gens qui étaient là à l’époque, et je pense que c’est un excellent apprentissage à l’éducation sociale et politique.

LD : Justement en 1966, l’Union générale des étudiants du Québec, dont vous fûtes vice-président en 1967, plaidait pour la gratuité scolaire. Est-ce que vous êtes toujours de ces combats-là, pour l’accessibilité aux études, à l’éducation ?

GD : J’étais pour la gratuité à une condition cependant : un service civil obligatoire de deux ans. On remettait ainsi au contribuable l’argent qu’il devait investir en éducation. Moi je suis pour la gratuité, à condition que ce soit repris par cette forme d’éducation.

LD : De la même manière qu’il y a des francophones à McGill (environ 21% de natifs et plus de 50% de bilingues), il y a des francophones dans le reste du Canada. Que comptez vous faire pour eux si vous êtes élu ? 

GD : Je vous dirais que les franco-canadiens et les Acadiens ont reconnu par le passé que le Bloc est le parti qui défendait le mieux leurs intérêts, même si nous n’avons pas de candidat dans le reste du Canada. Cela étant dit, on ne peut que constater le fait qu’il y a une assimilation fulgurante parmi les franco-canadiens et même parmi les Acadiens. À plusieurs reprises, j’ai fait le tour du Canada et je les ai rencontré. Ils ne rêvent que d’avoir les mêmes conditions que les anglo-québécois au Québec. Parce qu’on ne vit pas dans les mêmes conditions là bas. Ici, les anglo-québécois, et c’est à l’honneur du Québec, disposent d’un réseau universitaire, culturel, de réseaux sociaux, d’un réseau hospitalier. Mais le Canada a toujours refusé d’accorder la réciprocité aux franco-canadiens et aux Acadiens. C’est très triste. Je crois qu’on devrait attribuer les mêmes droits aux Acadiens et aux franco-canadiens que ceux auxquels ont droit les anglo-québécois.

Portrait :

Votre mot préféré : Liberté

Le mot que vous détestez : Oppression

Votre drogue favorite : L’endorphine. C’est gratuit et légal. Quand on fait de l’exercice, cette drogue se dégage du cerveau.

Le son, le bruit que vous préférez : Un rire d’enfant

Le son, le bruit que vous détestez : Les cris de douleurs de quelqu’un que l’on persécute comme Raif Badawi.

Votre juron, gros mot ou blasphème favori : J’ai une vague collection de mots qui ne se révèle pas.

L’homme ou la femme à mettre sur un billet de banque : On pourrait mettre les travailleurs et les travailleuses de différentes origines qui ont construit le pays.

Le métier que vous n’auriez pas aimé faire : Chauffeur de camion, de gros camion.

La plante, l’arbre ou l’animal dans lequel vous aimeriez être réincarné : Je ne crois pas à la réincarnation.

Si Dieu existe, qu’aimeriez-vous qu’il vous dise après votre mort : Je n’ai pas d’espérance autre que ma vie sur cette planète.

Frédérique Lefort | Le Délit

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