Aller au contenu

Dessine-moi une autofiction

Le récit de la création d’une bande dessinée, entre une agonie et deux éclats de rire. 

Il faut croire que beaucoup de gens qui ont grandi dans les années 2000 au Québec connaissent le personnage de Paul, créé par Michel Rabagliati en 1998 aux Éditions de la Pastèque. À en juger par la longueur de la file d’attente qui remplissait le cinéma Beaubien samedi dernier pour les deux représentations de la soirée, on suppose que la plupart des gens qui allaient voir l’adaptation de Paul à Québec, sixième album de Rabagliati, espéraient que le film les aiderait à se replonger dans l’atmosphère de la bande dessinée.

Naturellement, il faut connaître l’œuvre originale pour juger de la réussite d’un tel pari. On peut cependant noter que la bande dessinée n’occupe pas, somme toute, une place prédominante au sein du récit, dans la mesure où on ne voit pas très souvent Paul (François Létourneau) en train de travailler à la création de sa BD, dont les scènes sont présentées comme étant directement inspirées des événements qui l’entourent.

Ce choix était peut-être dicté par la discrétion du personnage éponyme, qui se fait en quelque sorte le mémorialiste de sa famille à travers son travail artistique. Quoi qu’il en soit, la distance avec laquelle il observe la santé de son beau-père Rolland se détériorer jusqu’à son agonie finale permet de rendre tolérable toute une série de scènes qui auraient pu s’avérer franchement pénibles si on n’y avait pas intégré quelques bonnes doses d’humour. La scène où les trois filles de Rolland éclatent de rire au centre de soins palliatifs en s’échangeant les détails de leurs problèmes intestinaux en est un bon exemple. Il en va de même d’une des rares scènes d’animation du film, lors de laquelle la fille de Paul discute avec son grand-père qui flotte au-dessus de sa tombe dans son nouveau pyjama décoré de ratons laveurs.

Malgré ces touches humoristiques, il convient de garder à l’esprit qu’il s’agit avant tout du récit de la perte d’un être cher, et que le traitement de ce sujet n’épargne à ses spectateurs aucun des inconforts pénibles qui sont le lot des patients en phase terminale, qu’il s’agisse d’une incontinence urinaire, d’une série de vomissements provoqués par la rupture d’un intestin ou encore de la nécessité de retourner quotidiennement le malade pour lui éviter les plaies de lit. L’interprétation de ce rôle par Gilbert Sicotte est tout simplement stupéfiante, et l’on ne peut sans doute que lui reprocher d’avoir rendu cette expérience d’une manière un peu trop crédible, dans un film qui paraissait s’intégrer dans un registre plus familial, ou du moins plus léger. Or, le fait de traiter de la mort dans un album de bande dessinée pour la jeunesse n’amoindrit pas la difficulté qu’on peut avoir à s’y confronter, comme en témoigne ce film. Tout au plus peut-on supposer que la création de Paul à Québec a aidé Rabagliati à vivre l’expérience de ce deuil à la manière de Paul, l’un de ses avatars.


Articles en lien