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Mémoires d’un homme dérangé

Portrait de famine, deuxième album de Philippe Brach, décrit les carences de l’âme.

Mahaut Engérant | Le Délit

Après une pièce instrumentale aux cordes stridentes     et aux sinistres cuivres intitulée « Portrait de famine », le nouvel opus de Philippe Brach est véritablement mis en branle avec le titre « Né pour être sauvage ». L’appellation est juste, car le moins qu’on puisse dire est que ce portrait n’est pas le lieu des civilités. Cancer, mort infantile, addiction, sexe et poils de cul, on est propulsé dès le début dans un univers cru, pour ne pas dire rance. 

À regarder les textes et en considérant les arrangements, on comprend que l’œuvre est non seulement déjantée, mais minutieusement décentrée afin de défaire toutes les attentes. Pratiquement aucun des textes n’observe une métrique régulière ou un rythme établi, faisant en sorte que l’on ne puisse jamais se reposer sur le terrain familier d’une répétition tranquille. Pareillement du côté sonore, Louis-Jean Cormier s’avère un producteur idéal pour le style bien particulier de Philippe Brach. Comme dans l’album de Cormier Les grandes artères (paru au printemps dernier), on est complètement indifférent aux formatages qui faciliteraient la diffusion à la radio. Les textes de Brach se trouvent ici nichés au sein d’une formation plus orchestrale et plus riche que son album précédent qui lui permet une belle exploration musicale.

Quand la qualité et la brutalité des textes finissent par pratiquement éclipser les arrangements de maître de Louis-Jean Cormier, force est d’admettre une chose : Portrait de famine est l’œuvre d’un poète. Par exemple « Divagation parlementaire » est un bref texte récité sans mélodie, un morceau au cynisme fulgurant : « et allons faire chier un autre nous à l’autre bout de la Terre juste parce qu’on a fait des avions pis des enfants pour le faire » s’y exclame le jeune homme plein d’ironie. On se croirait au cœur d’une soirée de poésie en compagnie de Gérald Godin. Brach se prouve également capable d’une belle réinvention de la langue « Alice j’avais jamais piné de la bullshit kitsch de même en étant sincérieux » dit-il dans « Alice ». 

« Belle journée » est également un morceau incroyable qui fait l’état de l’hypocrisie d’un monde rempli d’atrocités et de misère en entonnant d’un air jovial et bucolique : « Mais au réseau TVA/ Y’ont dit que c’t’une hostie de belle journée ».

Au sujet de l’amour, Brach n’est pas moins incisif, honnête et percutant. « Si proche et si loin à la fois » en duo avec Klô Pelgag est déchirant lorsque l’on réalise son véritable message. De même, « Nos bleus désirs » est touchant dans son expression des contrastes entre les malaises de l’esprit et les épanchements du corps, toujours sans la moindre pudeur « Pris dans l’étau de tes fesses/ Encore sous mes ongles, ton zeste ».

C’est un portrait empreint de cicatrices et au sourire grinçant qu’on nous présente ; il ne serait pas surprenant que l’écoute n’en soit pas agréable à un grand nombre. Avec sa voix forte, parfois hurlante, parfois stridente, Brach valse entre nostalgie et carences sentimentales. Il se soucie quand même de garder une touche de son humour corrosif dans les moments plus difficiles, comme pour cautériser ces nombreuses plaies qu’il aère au grand jour de la musique. 


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