C’est sur la scène du Théâtre National, loin des sirènes du centre-ville et là où des arches de guirlandes ornent la rue Sainte Catherine, que le Québécois Philémon Cimon a fait voler les premières notes de son tout dernier album : Les femmes comme des montagnes. En cette fin d’été 2015, le défi était de recréer face au public montréalais l’ambiance d’un album enregistré dans un petit studio de la Havane.
La première chose que l’on peut dire de la prestation des musiciens, c’est qu’ils ont eu la patience d’interpréter toutes les chansons qui composent cet album aux influences diverses. On a le temps de prêter attention à chaque élément et d’être un petit peu surpris quand le rythme de base de certaines chansons prend un tournure inopinée. Il est agréable de percevoir dans des chansons comme « Sur la ville », l’influence musicale de la petite île sud-américaine, presque plus présente que dans Les sessions cubaines, sorti en 2011. Désormais, les cadences et le charme fatal des rythmes latinos se font plus évidents. Si bien que, entraînées par un instinct charnel, les hanches des spectateurs se mettent à dessiner dans l’air des cercles plus ou moins harmonieux.
Entre deux chansons, Philémon raconte que les éclats de trompette que l’on entend dans le fond de son album sont le fruit du souffle et de l’ivresse de musiciens cubains vers trois heures du matin, après une soirée bien arrosée. Il n’a pas peur de s’arrêter au tout début d’un morceau en avouant qu’il s’est trompé d’octave, avant d’entamer la chanson à nouveau, d’une voix bien trop grave qui déclenche des rires dans le public. Mais il reprend avec sérieux : « J’suis allé te trouver dans ton pénitencier, j’ai gossé des menottes dans les planches du plancher » et les accords de basse qui accompagnent ces paroles font vibrer le plancher de la salle comme des petites décharges. Comme des pulsations autour desquelles gravite un éventail sonore fait de coups de baguettes, notes de piano, frottements de cordes électriques et bien sûr le timbre doré de Philémon. « Comme toi j’nai plus peur de m’endormir. Mais je ne dors plus » suivi d’un accord final marque la fin de la chanson.
Si le répétitif peut être lassant, il arrive que le premier sache se passer du second. Dans « Je t’ai jeté un sort », Philémon reprend la phrase « Maintenant tu dois m’embrasser » comme un refrain qu’il répète plus d’une fois, dans un registre pop qui n’est pas sans rappeler son album précédent : L’Été. Mais sa voix à la nonchalance contrôlée ne tombe jamais dans le mélo et préserve la simplicité des textes d’un côté trop « lover » : le piège classique lorsque l’on se risque à parler d’amour. D’ailleurs, les musiciens sont là pour rappeler Philémon à l’ordre comme il l’explique en prenant un ton de victime, quand il avoue au public qu’il n’a réussi à garder qu’une ou deux chansons vraiment douces dans l’album.
Entre plaisanteries et gravité, foule d’accords et mélopée, on intercepte des petits regards entre le pianiste (Papacho) et le guitariste (Nicolas Basque) qui échangent des sourires et donnent à la musique ce côté blague privée à laquelle on se plaît à participer. Vient alors le tour de la chanson éponyme de l’album, où trois violons se rajoutent au quintet musical qui ne demandait rien de mieux. Il semble alors évident que Les femmes comme des montagnes n’aurait pu se passer de ces cordes supplémentaires, ni de ces coups de trompettes qui font de cet album un accomplissement.
Écoutez ici l’album : https://philemoncimon.bandcamp.com/album/les-femmes-comme-des-montagnes