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Tout va être dit

Éditorial.

Mahaut Engérant

La couverture médiatique des événements qui se déroulent actuellement sur la place publique, à savoir une mobilisation étudiante d’ampleur contre les mesures d’austérité imposées aux universités par le gouvernement Couillard, prend depuis la fin de semaine dernière des proportions géniales.

Visez donc la titraille du Journal de Montréal : « En route vers leur printemps érable ». Examinez ce « leur» ; cela ne veut pas rien dire. « Leur » cause nous est étrangère, disent-ils. On pourrait en dire autant de « leur » couverture.

Sur ici​.radio​-canada​.ca, un « texte » de Mathieu Gobeil — qui n’est en réalité qu’une suite de  points clés —, propose d’établir un comparatif entre les mouvements de 2012 et de 2015. En comparant des pommes avec des oranges on n’obtient pas grand chose. Sans surprise, le tableau général de la situation actuelle brossé par le journaliste est assez pessimiste concernant l’ampleur du mouvement et les appuis qu’il reçoit. Quitte à écrire dans le vide, il pourrait parler des différences de conditions météorologiques (qui jouent un rôle majeur, figurez-vous).

Mais c’est aussi le point de vue qui crée l’objet après tout. Sur Voir​.ca, une entrée de blogue de Marc-André Cyr (un historien des mouvements sociaux, ravi de son nouveau sujet d’étude), propose une analyse de la situation à la sauce boétienne (et non béotienne), qui dissocie les loups des moutons, et pointe du doigt la « répression idéologique » que subissent les étudiants. Que cette répression vienne des commentateurs de l’actualité, accusant la confusion des revendications du mouvement qui concernent à la fois l’éducation et l’écologie, mais qu’elle vienne aussi d’institutions, à l’instar de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), qui choisit précisément cette semaine de déclenchement de grève pour menacer d’expulsion neuf de ses étudiants militants, impliqués dans des manifestations et levées de cours remontant pour certaines à 2013. 

La couverture intéressante, comme dans tout mouvement étudiant, est celle menée sur place, par et pour les étudiants. J’en veux pour preuve ce court reportage vidéo d’Impact Campus, le journal étudiant de l’Université Laval, où l’on peut voir cet échange mémorable entre un agent de la sécurité de l’université et un étudiant réfractaire aux levées de cours, lors d’une scène de piquetage, dans la matinée du lundi 23 mars : 

- Est-ce qu’il y en a, qui sont dans le cours et qui veulent assister à leur cours ?

- Oui.

- Est-ce que votre association a voté pour la grève ?

- Oui.

- Bah malheureusement vous êtes en grève Monsieur. (L’étudiant réfractaire sort.)

Ce n’est pas tout ! Après ces mots pleins de sagesse, des agents du Service de Police de la Ville de Québec entrent dans la salle de classe et s’adressent aux étudiants réfractaires au vote de leur association étudiante : « Écoutez, votre association a voté pour la grève, malheureusement il n’y aura pas de cours. » Si toutes les grèves se déroulaient ainsi…

Anne, ma Suzanne, ne vois-tu rien venir ?

On aurait presque envie d’écrire un éditorial intitulé « À McGill, rien de nouveau » dans lequel on parlerait des quatre anarchistes excités — toujours les mêmes depuis 2011, qui siègent sur différentes associations et comités anti-choses à la fois, qui proposent d’organiser des contingents pour manifester à l’UQAM sans toutefois être capable de produire du matériel de mobilisation convenable —,  ou bien de cette soirée des activités anti-austérité où les dix personnes présentes sont aussi celles qui organisent. 

L’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM) et l’Association étudiante des cycles supérieurs de l’Université McGill (AÉCSUM) disposent de moyens, et même de mandats, pour sensibiliser les étudiants aux effets néfastes des politiques d’austérité. Pourquoi si peu de votes de grève sont-ils à l’ordre du jour au premier cycle ? Le suivi est-il réellement fait avec les responsables des différentes associations étudiantes pour leur parler de la possibilité d’un vote de grève, ne serait-ce que symbolique — à l’instar de la Faculté de droit qui tient en ce moment un référendum pour partir en grève lors de la manifestation nationale du 2 avril et éventuellement se lancer dans une grève générale renouvelable ? D’où vient que l’on vote des résolutions et qu’on ne les mette pas en application ? C’est une fausse question éternelle. 

Force tranquille, juchée sur son clocher, notre rectrice peut gouverner en paix. Pourtant, à l’ombre de notre fier clocher, bâti en 1843, à l’intérieur même de ce clocher dirais-je, d’autres forces, des forces citoyennes, sont en mouvement. Elles se nomment Droit, Women’s Studies, Langue et Littérature françaises, Médecine. D’autres suivront peut-être, elles seront les bienvenues. Réclamer une plénière sur l’austérité dans son association étudiante n’a jamais fait de mal à personne, M. Couillard lui-même le dit : « Il faut amener les étudiants à aller s’exprimer dans leurs assemblées générales et à voter. » 


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