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Un mariage en Pologne

Projection de films polonais au Cinéma du Parc, dont Les Noces d’Andrzej Wajda.

Luce Engérant

Le dimanche 1er février avait lieu la projection du film Les Noces (titre original : Wesele), réalisé en 1973 par le Polonais Andrzej Wajda, dans le cadre d’un événement mettant à l’honneur le cinéma polonais. En effet, du 16 janvier au 19 février, le Cinéma du Parc reprend huit films importants mais rares grâce à la rétrospective parrainée par Martin Scorsese et sa World Cinema Foundation qui a restauré les œuvres au format numérique.

La rétrospective de 21 œuvres Masterpieces Of Polish Cinema a ouvert au Centre Lincoln, à New York, en février 2014 et a été diffusée aux États-Unis et au Canada. Elle avait d’ailleurs été un franc succès à la Cinémathèque québécoise, en 2014. Ces films de l’Europe de l’Est des années 50 à 90 ont eu une influence notable sur le travail de Scorsese pour qui ces œuvres semblent faire partie de l’âge d’or du cinéma international : « c’est un cinéma de vision personnelle, de fort dévouement social et une responsabilité poétique dont nous avons tous appris », explique-t-il dans la bande-annonce de la rétrospective.

Un mariage, deux classes sociales

Les Noces, c’est l’histoire d’une révolte sur fond de mariage, ou l’inverse. Le film, basé sur la pièce du même nom par Stanisław Wyspiański écrite en 1901, dépeint en profondeur la société polonaise. C’est une soirée de noces qui se déroule pendant les 107 minutes du film. Un poète épouse une paysanne et leurs familles célèbrent leur union ensemble dans la ferme de la famille de la mariée, en pleine campagne polonaise et en costumes traditionnels. La division sociale apparait tout de suite à travers un échange entre un éditeur de journal, qui a du mal à se frayer un chemin dans la foule d’invités qui dansent, ivres, et un grand paysan moustachu au teint bronzé. Ce dernier se moque de l’intellectuel lui posant des questions politiques naïves. L’omniprésence de l’alcool est frappante durant le film qui s’ouvre sur le début des festivités, les rires et l’arrivée en calèche dans la maison, qui se déroule ensuite dans cette maison, où l’on boit, rit danse et se dispute, puis se termine le lendemain avec des hommes qui ont mal à la tête, couverts de sueur et épuisés. Entre temps, les mariés s’amusent, les invités se séduisent, des hommes se battent à propos de dettes, de politique ou de femmes, et enfin, quelques intellectuels font de la poésie. Le marié poète, rêveur, apparait comme quelqu’un de marginal, entre deux mondes, aimant et heureux mais aussi un peu perdu.

Agonie d’une Pologne écartelée, vidée et frustrée

Tout au long du film, on ressent une agonie, comme une frustration sociale et sentimentale que l’on ne peut identifier tout de suite, surtout si l’on n’est pas familier avec l’histoire politique polonaise. Dès les premiers plans surgit une forme de dichotomie entre les personnages du mariage et le reste du monde, entre un sentiment d’appartenance et un extérieur grisâtre. La première image montre les calèches pleines d’invités dans la ville de Cracovie, où les invités les plus illustres signent des autographes avant de se rendre en campagne. La seconde image montre des soldats qui regardent les calèches passer, puis il y a une alternance de plans joyeux de la fête et de plans sombres et gris des soldats. Dès les premières secondes, on se dit que quelque chose cloche. Ce qui ne va pas, c’est que le peuple polonais était frustré en 1901 parce qu’il n’y avait pas de Pologne, mais un territoire découpé entre la Russie, l’Austro-Hongrie et l’Allemagne. Cette agonie éclate lorsque les hommes appellent à la révolution paysanne et prennent les armes. Retentit enfin la « corne dorée » à travers les campagnes et ils s’exclament : « Nous allons commencer à vivre ! » en montant sur leurs chevaux. Mais le messager qui lançait l’appel perd la corne et son chapeau plumé, revient bredouille et l’appel est vain, la révolte avortée. Le cheval blanc, symbole de l’espoir guerrier, se couche simplement sur le sol boueux de la ferme. C’est l’abandon, puis la stagnation. Était-ce un rappel d’Andrzej Wajda sur la situation de son pays en 1973, en pleine guerre froide, alors un État satellite de l’Union soviétique ? Une critique cachée du système, un message codé pour une patrie toujours frustrée ? « Où est notre Pologne ? » demande la jeune mariée ; on lui répond de chercher dans son cœur. Sur les cartes, pas de Pologne. 

C’est une mise en scène étonnante et difficile à apprécier d’abord, parce qu’elle est très bruyante et chargée, presque hystérique, mais finalement chaque tension est soigneusement annoncée par des symboles, de la poésie et des images plutôt expressives jusqu’à la prise de conscience. Andrzej Wajda disait : « Le Seigneur a donné deux yeux au réalisateur – l’un pour regarder dans la caméra, l’autre pour être alerte à tout ce qui se passe autour de lui. » Plongez-vous dans cet univers à la fois engagé, violent et poétique en allant voir les deux derniers films de la série au Cinéma du Parc.


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