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Un Institut qui fait belle figure

Quelle résonnance des voix autochtones sur le Plan Nord ?

Amelia Rolls

La relance du Plan Nord, un projet controversé visant à « développer le potentiel économique, minier, énergétique, social, culturel et touristique du territoire [nordique ]» initié par Jean Charest en 2011, était un point central de la campagne du Parti Libéral du Québec (PLQ) lors des dernières élections provinciales. Conscient toutefois que « le niveau de connaissance du territoire » ne permet actuellement pas de développer le « plein potentiel » du Nord dans le respect de l’environnement et des communautés nordiques, le ministre Pierre Arcand a annoncé, en octobre dernier, la création d’un institut de recherche multidisciplinaire sur le Nord québécois pour pallier à cette lacune. Les chercheurs de l’Institut nordique du Québec (INQ), dont les principaux partenaires sont pour l’instant l’Université Laval, l’Université McGill et l’Institut national de recherche scientifique (INRS), uniront leurs efforts afin de développer des « connaissances solides dans les domaines social, économique et environnemental » du Nord québécois, expliquait le ministre Arcand en conférence de presse le 15 octobre dernier. Des voix s’élèvent toutefois pour dénoncer le peu d’importance accordée aux communautés nordiques dans ce nouvel institut de recherche.

Premier pas : réunir les chercheurs 

La première esquisse de l’Institut nordique du Québec remonte à l’année 2011–2012, lorsque l’Université Laval avait tenu un exercice de consultations et de rencontres où « on a déterminé les besoins et enjeux de recherche [prioritaires]» pour le Nord du Québec, explique M. Denis Mayrand, vice-recteur adjoint à la recherche et à la création de l’Université Laval, en entrevue téléphonique avec Le Délit.  Il précise que l’exercice s’inscrivait dans le cadre du Plan Nord, bien qu’il n’y était pas officiellement relié. L’Université Laval possède depuis longtemps déjà une expertise dans le domaine de la recherche sur les territoires nordiques : l’Université est à la tête de sept regroupements de chercheurs qui s’intéressent au Nord, dont le Centre d’études nordiques qui existe depuis plus de 50 ans. C’est pourquoi le gouvernement du Québec a confié à cette université le mandat, au printemps dernier, de mettre sur pied un institut de recherche sur le Nord québécois. Chargée de ce projet, l’Université Laval s’est entourée de nouveaux partenaires de recherche dotés d’expertises complémentaires. C’est ainsi que les ententes avec l’Université McGill et l’INRS ont été conclues, aboutissant à la création de l’INQ annoncée en conférence de presse le 15 octobre 2014. Pour l’instant, les recherches n’ont pas encore commencé ; on en est encore à « s’organiser [et] faire les liens avec tous les partenaires », une tâche longue et complexe, nous explique M. Mayrand. Toutefois, les travaux sont lancés, et le projet avance, affirme-t-il.

Colonialisme 2.0

La majorité des projets proposés par le Plan Nord serait menée par des compagnies privées sur des territoires autochtones. Malgré l’opposition de ces communautés – dont les activités traditionnelles seraient « menacées par le Plan », selon un rapport de Divest McGill présenté en février 2013. Le gouvernement libéral réélu au printemps dernier devrait rendre public son projet de relance du Plan Nord dans le mois à venir, nous confiait M. Denis Mayrand. La journaliste Sarah Laou expliquait, dans un article de Ricochet paru le 20 janvier 2015, que « dans le contexte historique colonial, […] [si] les gouvernements provinciaux ont l’obligation de consulter les Premières Nations avant d’autoriser toute activité pouvant porter atteinte à leurs droits, dans les faits, il n’en est rien ». Les exemples d’exploitation des territoires autochtones sans le consentement des peuples qui y résident abondent : barrages hydroélectriques provoquant l’inondation de terres autochtones, déforestations, pollution causée par des mines exploitées par des compagnies privées qui quittent les lieux sans décontaminer les sols…, le mandat de l’INQ est de « soutenir les communautés, les entreprises et le gouvernement en mettant au point des solutions permettant de répondre aux défis du développement dans le Nord », explique un porte-parole du Bureau de la recherche et des relations internationales de McGill dans un échange de courriels avec Le Délit.

Le poids des voix 

M. Mayrand explique que l’INQ devra veiller à ce que le développement du Nord bénéficie à tous les acteurs : « le grand défi qu’on se donne […] [est] d’avoir les communautés et les [compagnies privées] ensemble ». Le modèle privilégié pour parvenir à garantir la participation des communautés autochtones aux projets de recherches de l’Institut est celui de consortium. Ce type d’alliance a déjà servi à Arcticnet, un regroupement de chercheurs qui s’intéressent aux impacts des changements climatiques dans l’Arctique canadien côtier. Suivant ce modèle de fonctionnement, le conseil d’administration est composé de représentants des entreprises privées, des communautés autochtones, du gouvernement provincial et des universités qui mènent les projets de recherche. De plus, les populations du Nord sont consultées en premières pour permettre une définition juste des besoins de recherche. Une fois la recherche terminée, on se chargera de « redonner aux communautés les résultats [qui permettent ensuite] de prendre des décisions localement ». Ce modèle permet, selon M. Mayrand, d’instaurer une confiance mutuelle et « d’associer les communautés [aux décisions]». Malgré la ferme intention de l’Université de faire une place aux représentants autochtones autour des tables de négociations, leurs voix sont souvent sous-représentées : lors de l’exercice de consultation qui a mené à la création de l’INQ en 2011, par exemple, on trouvait un seul représentant autochtone sur une soixantaine de participants.

En plus des deux partenaires déjà impliqués – l’Université McGill et l’INRS – , M. Mayrand indique que d’autres universités sont intéressées à se joindre au projet, dont l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) et l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), qui sont plus près des communautés autochtones et possèdent des expertises complémentaires à celles des membres actuels de l’INQ. On envisage également de développer des « plateformes » de l’INQ dans le Nord, soit à Kuujjuarapik – où l’Université Laval possède déjà un centre de recherche – et à Kuujjuaaq. Le Daily du 27 octobre dernier rapportait toutefois que le maire de Kuujjuaaq Tunu Napartuk déplorait que les pourparlers avec sa communauté – qui sera directement touchée par les projets du Plan Nord – sont très limités. Le maire regrettait que bien que « le gouvernement écoute les préoccupations exprimées par les représentants des communautés autochtones », ce sont souvent les objectifs de la province qui sont priorisés.

Intérêts privés à McGill

Divest McGill présentait, en février 2013, un rapport dénonçant le Plan Nord – notamment parce qu’il est imposé aux communautés du Nord sans leur consentement – et demandait à McGill de retirer ses investissements dans les compagnies privées qui y participeront. En effet, quinze compagnies privées dans lesquelles McGill détient des investissements sont impliquées dans le Plan Nord. Lors de la conférence de presse du 15 octobre, annonçant la participation de McGill à l’INQ, la principale et vice-chancelière de l’Université McGill, Madame Suzanne Fortier, mettait de l’avant l’innovation sociale que permettra l’INQ. Elle expliquait que « l’Institut servira de carrefour intégrateur aux chercheurs des universités fondatrices ainsi qu’aux représentants du secteur privé », sans faire mention des communautés du Nord. Lorsque Le Délit a demandé comment McGill comptait veiller à l’inclusion des voix des communautés nordiques dans les recherches, le porte-parole du Bureau de la recherche et des relations internationales de McGill est resté vague en répondant que l’Université « s’engageait à développer des partenariats entre les communautés et les chercheurs », aucune mesure concrète n’a été annoncée. Contrairement à M. Mayrand, qui est sensible à l’inclusion des communautés autochtones dans les recherches de l’Institut, le porte-parole du Bureau de la recherche et des relations internationales semble plutôt centré sur les intérêts privés des possibles retombées du Plan Nord pour l’Université et les compagnies dans lesquelles McGill détient des investissements Ainsi, bien qu’on puisse saluer la volonté du gouvernement de créer un institut de recherche déstiné à trouver des solutions permettant le développement durable du Nord québécois, confier le mandat des recherches à trois institutions situées dans de grands centres urbains éloignés des régions du Nord laisse planer un doute quant au réel désir d’inclure les voix des communautés nordiques dans le projet. À ce jour, aucune mesure concrète n’assure que cette volonté affichée par l’INQ sera respectée.


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