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Une bulle à faire éclater

Renforcer le français sur le campus pour ouvrir les portes du Québec aux McGillois.

Mahaut Engérant

Malgré l’augmentation indéniable de la présence du français sur le campus depuis les années 1960, l’Université McGill continue d’être perçue comme une « bulle », résultat de sa spécificité linguistique. En effet, l’université anglophone détonne dans une province unilingue francophone. Tant que le français sera relayé à un rôle de second plan, l’effet de « bulle McGill » persistera.

En entrevue téléphonique avec Le Délit, Olivier Marcil, vice-principal aux communications et relations externes, refuse catégoriquement « l’affirmation de la bulle McGill » : « McGill a énormément de partenariats avec des universités [et des entreprises] québécoises ». Il souligne l’importance du français dans ces relations, réitérant au passage le nouveau leitmotiv de l’Université : « McGill n’a jamais été aussi francophone qu’aujourd’hui ». Ironiquement, en tentant de nier l’existence de la bulle mcgilloise, il la confirme : selon ses dires, Madame Fortier (qui n’a pas répondu à notre demande d’entrevue) s’étonne que le français soit plus présent ici qu’à Ottawa (où elle travaillait avant son entrée en fonction à McGill), ville pourtant située dans une province unilingue… anglophone ! 

Combien de francophones ?

La politique linguistique la mieux connue de l’Université McGill date officiellement de 1980 : « À McGill, la langue d’enseignement est principalement l’anglais. Vous avez le droit de rédiger vos examens, vos travaux, vos thèses ou vos mémoires en français ou en anglais, sauf dans les cours où l’un des objectifs est la connaissance d’une langue ».

 Malgré tout, certains professeurs avouent aujourd’hui encore ne pas maitriser le français et encouragent les étudiants à rédiger leurs travaux en anglais. Monsieur Marcil confirme qu’«on embauche des professeurs unilingues anglais [sic] […] [et] on les accompagne au niveau [sic] du français ». Il nous explique que depuis moins de deux ans, McGill offre des cours de français gratuits pour les professeurs et leur conjoint dans l’optique de mieux les outiller, de leur permettre de se conformer à la politique linguistique mcgilloise… et de passer les examens de français des ordres professionnels auxquels ils souhaiteraient éventuellement adhérer. 

Du côté de l’effectif étudiant, le pourcentage d’étudiants francophones a dégringolé de 25,5% en 1987 à 17,7% en 2009, mais est remonté à 18,5% en 2013 puis à 19,1% en 2014, nous apprend Doug Sweet, directeur du service des communications internes. Olivier Marcil avance quant à lui que le nombre de Québécois qui forment l’effectif étudiant se maintient à environ 50% depuis les dix dernières années, tandis que le nombre de Français admis a augmenté de 150% dans les dernières années.

 Le vice-principal aux communications affirme qu’«on porte une attention particulière aux francophones », mais soutient que McGill n’a pas de politique de sélection à cet effet. Plutôt, « on cherche les meilleurs – c’est clairement une politique, on vise l’excellence ». Effectivement, le premier des trois principes fondamentaux présentés dans La politique sur l’emploi et la qualité du français à l’Université McGill requise par l’art. 88.2 de la charte de la langue française du Québec stipule que « L’Université attire d’excellents étudiants et recrute des professeurs exceptionnels dans toutes les disciplines, sans égard à leur langue maternelle ». On n’y fait aucune mention des étudiants francophones. 

Trop grande souplesse des politiques de service aux étudiants

Monsieur Marcil insiste sur l’importance qu’on accorde au français, notamment dans « l’interface avec les étudiants [qu’on souhaite] bilingue ». De plus, le Services aux étudiants, le Services aux étudiants internationaux et la Gestion de l’effectif étudiant nous confirment (en anglais, en réponse à une question posée en français et dans le cadre d’un échange de courriels dans un excellent français avec Doug Sweet) que la maitrise du français est une exigence pour l’embauche de nouveau personnel qui travaillera en contact direct avec les étudiants. 

Cette politique ne semble toutefois pas très contraignante : Jason Kack, directeur général de la librairie (bookstore) de l’Université (qui relève du Services aux étudiants), affirme lors d’une entrevue téléphonique qu’on lui a demandé de s’assurer de la présence d’au moins un employé qui parle français sur le plancher en tout temps et de veiller à l’affichage bilingue. Il n’hésite pas à embaucher des employés unilingues anglophones pour des postes temporaires, mais souligne que les candidats aux postes permanents doivent répondre à des questions en français lors de l’entretien pour démontrer leur maitrise de la langue. 

Ce qui n’empêche pas la librairie de proposer un contrat de location pour les manuels qui contient une clause stipulant que l’étudiant a demandé à ce que le contrat soit rédigé uniquement en anglais ! Lorsque Le Délit s’est rendu à la librairie pour demander à voir un exemplaire du contrat pour confirmer l’existence de la clause mentionnée, la réponse a été « I’m not getting involved in this crap. You can ask to see the manager » (« Je ne veux pas être impliquée dans cette merde. Vous pouvez demander à voir le gérant »). En entrevue téléphonique, monsieur Kack confirme qu’il n’existe pas de version française du contrat et que la version anglaise contient bel et bien la clause mentionnée ; si un étudiant venait à demander un contrat rédigé en français, le directeur général semble hésitant quant à la mesure à adopter, mais affirme que « l’Université a un service de traduction. J’imagine qu’on leur demanderait [de faire la traduction]».

Lorsque Le Délit a demandé à Olivier Marcil si les récentes coupes budgétaires risquent d’affecter la présence du français sur le campus, il a interrompu la question pour marteler un « non, non, non, non, non ». McGill a, selon lui, l’«obligation », le « devoir » d’assurer la présence du français sur le campus. Il avoue toutefois que « la question est tout à fait pertinente », surtout qu’une des mesures prises par l’Université en réponse aux récentes compressions est le gel d’embauche de nouveau personnel, ce qui inclut les traducteurs, admet-il. 

Redéfinition du bilinguisme officiel de la politique étudiante 

Du côté de l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM) et de l’Association Étudiante de la Faculté des Arts (AÉFA) – dont la politique linguistique est entièrement interne, l’Université n’imposant aucune règle, nous révèle Ava Liu, présidente de l’AÉFA –, on déclare l’anglais et le français comme langues officielles. Sauf que de nombreux documents ne sont pas traduits, faute de moyens. Lola Baraldi, v.-p. aux affaires externes de l’AÉFA, reconnait qu’il y a présentement un problème d’accessibilité aux documents en français. Ava Liu admet que la traduction des documents pose problème : « on veut des traductions fidèles ». Puisqu’on engage des étudiants mcgillois comme traducteurs, les risques d’erreurs sont là. La traduction actuelle de la constitution de l’AÉFA le confirme : on y déclare à l’article 25.2 de la section « Language [sic] de la Constitution » que « les textes en Anglais [sic] et en Français [sic] sous [sic] également autoritaires ».Voilà qui invite à questionner l’autorité !

Phillippe Robichaud, commissaire aux affaires francophones de l’AÉUM, nuance un peu ce triste constat : « d’un côté pratique », déclare-t-il dans un échange de courriel, « la situation est compréhensible comme 100% de la population mcgilloise parle au moins un peu d’anglais ».

De plus, « l’accessibilité [aux] documents publics » reste également à désirer du côté de l’AÉUM, selon Philippe Robichaud. Il nous confie toutefois qu’on y est conscients de la réalité francophone et qu’il y a une « réelle volonté » d’améliorer les choses. Bien que la situation soit « déplorable », selon la v.-p. aux affaires externes Amina Moustaqim-Barrette, les initiatives étudiantes semblent en voie de faire bouger les choses.

Concrètement, on a considérablement augmenté le budget de l’AÉUM accordé à la Commission des affaires francophones (CAF), créée en 2007 suite à l’initiative d’un étudiant francophone. De plus, l’association envisagerait l’embauche d’un(e) traducteur(trice) professionnel(le), selon les dires d’Amina Moustaqim-Barrette rapportées par Philippe Robichaud. Du côté de l’AÉFA, on a mis sur pied l’an dernier une commission aux affaires francophones sur le modèle de celle de l’AÉUM qui a le mandat de veiller à « l’inclusion du français dans les opérations et les politiques » de l’association, déclare Ava Liu.

Philippe Robichaud regrette « l’accès anglophone unilingue des documents de nos associations étudiantes [qui] les ampute de la discussion avec le reste du Québec ». Dans le contexte actuel d’austérité qui mobilise les étudiants à l’échelle provinciale et de mouvements pro-environnement, par exemple, « le monde universitaire québécois gagne à communiquer à une plus grande échelle que celle des campus individuels afin de mieux saisir sa réalité socio-économique », reconnait le commissaire. Amina Moustaqim-Barrette affirme qu’«il est de [s]on devoir d’intégrer McGill dans la communauté québecoise, [ce qui est] impossible sans faire des efforts vers la francisation de notre propre association ». Elle ajoute que la décision « d’intégrer le bilinguisme à la société [revient au conseil exécutif], de sorte que la situation change beaucoup d’une année à l’autre. J’espère trouver une façon d’institutionnaliser ce processus ». 

Quand on considère que 40% des étudiants sur le campus sont bilingues, selon madame Fortier, tandis que plus de 55% affirment « bien parler français », selon monsieur Marcil, il est surprenant de constater que le français se fait encore aujourd’hui si discret sur le campus, et que les francophones soient très peu nombreux dans les rangs des associations étudiantes, qui détiennent pourtant le réel pouvoir de faire changer les choses.


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