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Trébucher sur chaque prétexte

Petit cours d’écriture à l’usage de tous.

À vous qui lisez ces lignes, je livre aujourd’hui le secret de mon impulsion. J’entends ici non pas seulement la cause de mes écrits, mais aussi la variation physique de la quantité de mouvement générée par les forces en application. Pour ne perdre personne en route, je m’exprimerai de la manière la plus méthodique et la plus simple dont je sois capable de faire usage – nous avons vu, lors de la dernière chronique, que les erreurs de transmission dans mes messages généraient un échec, un « aïe », un glissement de sens et une retombée navrante. « Se cacher est un plaisir, mais ne pas être trouvé est une catastrophe », merci Winnicott.

Je dois, avant tout, commencer par vous exposer mon prétexte. Il est indissociable de l’écriture (qui est le germe, le levain et le pain de la réflexion, rappelons-le) puisqu’il constitue la terre dans laquelle elle peut se former. Le prétexte, pour moi, c’est le Pourquoi. Pourquoi réagir à l’existence en écrivant ? Pourquoi saisir le réel et le confiner à des lignes en n’en ayant extrait que le concentré alambiqué de certains instants ? Pourquoi chercher un sens, au risque de se mettre en danger, de soulever des controverses, d’avoir l’air ridicule ou pire, de se froisser avec un être estimé ?

Mon impulsion, dans le premier sens du terme – la cause de mes écrits – c’est le Parce Que. Lorsqu’il est seul, le Pourquoi se perd. Il n’y a que le Parce Que qui puisse lui permettre de résonner dans le réel. Attention, l’importance de la justesse du Parce Que n’est, à mes yeux, pas en cause. Ce qui compte, c’est la tentative de rassembler ses esprits pour répondre, surtout lorsque la question est délicate. Attention encore, un « Je ne sais pas » n’exclut pas un « Parce Que » pensé. 

J’ai parlé plus tôt de « l’impulsion comme variation physique de la quantité de mouvement générée par les forces en application ». Décortiquons ce propos : le total des forces en application revient au prétexte dont je parlais à l’instant. Le contexte, la question, les implications, les potentielles répercussions, les outils que l’on rassemble pour répondre sont autant de forces qui, additionnées les unes aux autres, donnent un prétexte. Le prétexte génère un mouvement, celui de la pensée, de la tentative d’un Parce Que. Cette quantité de mouvement varie, c’est ce que j’appelle impulsion ; en ayant, je vous l’accorde, remanié la définition à ma sauce afin d’ajouter « un soupçon de Gwenn », comme dirait Mme C***. Pour ma défense, je l’ai fait parce que je voulais exprimer quelque chose, j’ai donc créé un déplacement dans le sens du mot afin de l’adapter au contexte. C’était un prétexte, une variation en me mineur. 

Force est de constater que cette façon de manier les mots risque de m’éloigner de mon impulsion initiale, de mon Parce Que. Parce que quoi ? Parce que je cherche à CQFD le langage. L’interdisciplinarité, c’est mon cheval de bataille et je manque encore parfois un peu de délicatesse dans la tenue des rênes. Pourquoi ? Parce que j’ai encore le temps d’élimer mes idées jusqu’à ce qu’elles atteignent la pureté des messages. Enfin libre, puissent-ils se détacher de la langue. Por qué ? Porque. 

Qui a dit : « plus on possède d’imagination, mieux il faut posséder le métier pour accompagner celle-ci dans ses aventures et surmonter les difficultés qu’elle recherche avidement » ? Baudelaire, évidemment ! N’a‑t-il pas cherché un prétexte à son prétexte, le Pourquoi qui génère l’impulsion imaginative du Parce Que ? Pourquoi choisir un métier juste qui recèlera d’expériences parlantes ? Parce qu’il pourra accompagner les raisonnements, Parce qu’il permettra au Pourquoi de répondre au Parce Que, d’inverser le rapport qu’entretient la réponse avec la question, la réflexion avec le prétexte. Les conditions doublées par l’aventure inopinée des rencontres éclairées dégagent un nouveau bagage composé, c’est Pourquoi je parsème ma page de caractères à la lueur d’une loupiote, je reste éveillée par ce que je cherche : un mais tierce…


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