Philippe Holl a confondé il y a quatre ans et est aujourd’hui PDG de CH&C, agence de communication spécialisée dans l’accompagnement de firmes françaises implantées au Québec et vice versa.
Le Délit : Qu’est-ce qui vous a mené à cette forte spécialisation en créant CH&C ?
Philippe Holl : J’ai découvert le Québec parce que je me suis marié avec une Montréalaise, et j’ai fait des allers-retours depuis 25 ans. Cette idée, qui me trottait dans la tête depuis assez longtemps, a vu le jour il y a quatre ans, parce qu’on a commencé à parler de croissance canadienne durable, avec un rapport de l’OCDE qui table sur 2,5% de croissance du PIB par an jusque 2050. Et je m’étais rendu compte que beaucoup de Français se font de fausses idées sur le Canada. Ils pensent que tous les Québécois les aiment, les admirent, les respectent. Ce qui est parfois vrai mais le côté « maudits français » est totalement oublié ; de même que le « je me souviens » n’est pas anodin. […] Ainsi, pas mal de marques françaises pensent s’exporter au Québec en se disant que ce sera facile, que puisqu’ils parlent notre langue, on n’aura pas besoin d’adapter notre publicité. Ce qui est une aberration. Montréal est en Amérique du Nord ; sa culture est nord-américaine.
LD : Est-ce que les Québécois s’attendent plus à s’adapter dans les communications en allant en France ? Et est-ce que votre chiffre d’affaires se fait dans ce sens ?
P.H.: Il se fait principalement dans le sens Québec-France, ou Canada-France. Nos trois plus gros clients sont canadiens. Toutes les grosses compagnies françaises (L’Oréal, Lafarge, Ubisoft, etc.) sont déjà là depuis longtemps. De toutes manière, les très grosses compagnies font appel à leur propre réseau de communication globale, ou à des agences internationales comme par exemple Publicis. C’est logique qu’ils ne fassent pas appel à nous. On travaille donc surtout avec des grandes compagnies au Canada, et des PME [petites et moyennes entreprises] en France. Excepté l’année dernière : on a accompagné Unilever avec le lancement de la moutarde Maille au Canada.
La problématique pour s’implanter au Canada c’est que très peu d’agences locales couvrent tout le pays. C’est soit le Québec, soit le Canada anglophone.
LD : En quoi peuvent consister, vos services conseils ?
P.H.: Il y a d’abord les relations publiques. Par exemple, sur huit millions de Québécois, environ six millions ont un compte en banque chez le Mouvement Desjardins [client majeur]. C’est une situation de quasi monopole qui n’a pas de pendant en France. Ils se sont implantés à Paris il y a deux ans, mais absolument personne ne les connaît ; voire on les confond avec un site de jardinage en ligne. Il y a donc un travail de notoriété à faire. Et après un réseau à mettre en place avec la diplomatie canadienne et québécoise en France. Il faut tirer parti de relations en place, comme les jumelages Montréal-Lyon et Québec-Bordeaux. Dans toutes les régions françaises, il y a un engouement certain avec le Québec ; il faut surfer sur cette volonté, et les suivre dans leur développement économique ! Enfin, il y a toute une stratégie de communication à mettre en place ; selon la finalité : soit du digital, soit de la télé, soit de la presse. On crée le contenu le plus souvent, ou pour les grands groupes québécois on se cantonne à adapter leurs campagnes existantes. Il y a des expressions qui ne sont pas exploitables ici [en France]!
LD : Est-ce que les différences culturelles sont un frein aux échanges ? Notamment, commerciaux ?
P.H.: Non, ce n’est pas un frein. C’est toujours riche d’échanger avec des gens qui ont des méthodes différentes. L’avantage pour le monde des affaires c’est que les systèmes juridiques québécois et français sont très proches. Ce n’est pas le code Napoléon mais c’est dans l’esprit. Par contre, le vocabulaire dans le système financier est très différent. […] Donc on doit parfois mettre les clients en relation avec des avocats ou le Mouvement Desjardins. […] J’entends d’ailleurs des gens qui disent que c’est long d’ouvrir une entreprise au Canada, ce qui est complètement faux ; et en France ça va très vite aussi.
LD : Les échanges entre la France et le Québec restent modérés. La France n’est que le quatrième partenaire commercial du Québec, et le Québec a dix fois plus d’échanges avec les États-Unis. Est-ce un filon viable ?
P.H.: Les échanges sont importants [3.7 milliards CAD en 2013]. Bien sûr, il y a un plan géographique et historique, mais beaucoup va changer avec l’accord de libre-échange Canada-Union Européenne.
LD : Est-ce que vous vous attendez à un fort impact sur vos affaires ?
P.H.: Oui, ça va être avec un accélérateur. Je ne connais pas tous les détails mais j’y voit des points positifs. […] On attend des éléments concrets pour 2015. Voici ce qu’on dit aux entreprises françaises qui cherchent des points de croissance. Ils se sont tournés vers les BRICs [Brésil, Russie, Inde, Chine]. Mais ouvrir au Québec, c’est une facilité et une stabilité incomparables. Est-ce qu’on préfère sept points de croissance avec un risque ? Ou 2.5 sur les cinquante prochaines années ? […] Denis Coderre expliquait en visite à Paris que les affaires à Montréal, c’est comme arriver à Dorval plutôt qu’à JFK [aéroport de New York]: c’est plus simple.
LD : Pour les aspects réseaux et conseils, en quoi est-ce que vous différez des délégués commerciaux [accompagnateurs des entreprises dans les chambres de commerce]?
P.H.: Demandez aux entreprises françaises ce qu’elles pensent d’Ubifrance [Agence française publique pour le développement international des entreprises]. Ils donnent des états du marché, ce ne sont pas des commerçants.
LD : S’il fallait donner un conseil à une entreprise québécoise et à une entreprise française pour le commencement d’une relation d’affaires ?
P.H.: Pour les Français : qu’ils apprennent l’anglais, soient plus gentils et plus modestes. Les québécois : moins modestes, moins gentils. (Rires)
LD : Quel a été un de vos succès, qui illustrerait une coopération franco-québécoise ?
P.H.: Plus que notre apport [aux clients], je pense aux grandes entreprises, qui en elles-mêmes sont un accélérateur dans les deux sens. Par exemple, l’ouverture de Desjardins à Paris n’est pas insignifiante, c’est un geste fort qui va aider le tissu économique dans les deux sens. Les grands groupes n’ont besoin de personnes ; par contre les PME qui vont en bénéficier sont celles qui au total contribueront le plus à l’emploi et aux échanges. […]
LD : Est-ce que vous vendez le Québec comme une porte vers les États-Unis ?
P.H.: Montréal, pour moi, c’est la porte d’entrée sur l’Amérique du Nord ; de même que Paris sur l’Europe. Pas Londres. […] Si l’on veut envahir l’Europe, il faut passer par la France, géographiquement et culturellement.
Les chiffres des relations économiques Québec-France :
3,7 milliards de dollars – Le montant des échanges commerciaux Québec-France en 2013
35 000 dollars US PPA – Le PIB par habitant au Québec et en France en 2011 selon le pouvoir d’achat. Le niveau de vie est donc similaire.
4e – La place de la France comme partenaire commercial avec le Québec, avec 2,3% des exports et 3,3% des imports en 2011 (à comparer avec les Etats-Unis 67 et 30%).
2e – La place de la France comme investisseur au Québec, soit des liens plus directs, notamment dans l’aéronautique, les technologies et l’agroalimentaire.
43% – La part des échanges franco-canadiens qui se faisaient avec le Québec, alors que la Belle Province représente 19,5% du PIB du Canada.
45 & 27% – Les parts des exports dans les PIB québécois et français respectivement.
AECG – Accord économique et commercial global, le traité de libre échange entre le Canada et l’Union Européenne a été conclu le 26 septembre 2014.