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Un ballet historique

Paquita fait ses premiers pas sur la scène de la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. 

Christophe Pele

La Place des Arts  reçoit une visite prestigieuse : après 47 ans d’absence, le Ballet de l’Opéra national de Paris est de retour à Montréal pour une représentation haute en couleurs de Paquita, ballet créé le 1er avril 1846 et reconstitué par le chorégraphe et ancien danseur français Pierre Lacotte, en 2001. « Inviter le Ballet de l’Opéra national de Paris était au sommet de ma liste des choses à accomplir au cours de ma carrière », révèle Gradimir Pankov, directeur artistique des Grand Ballets canadiens et initiateur du projet. Ce spectacle est d’autant plus unique que l’Opéra est la seule compagnie du monde à danser ce ballet, qui n’a pas été vu intégralement depuis plus d’un siècle.

Ballet historique donc, chorégraphié par Joseph Mazilier sur une musique d’Edouard-Marie-Ernest Deldevez à sa création à l’Académie Royale de Musique de Paris, puis remanié par Marius Petipa et mis en musique par Ludwig Minkus au Bolchoï Kamenny de Saint-Pétersbourg en 1882. Ce ballet-pantomime qui rompt avec les thèmes oniriques du « ballet blanc » enchante Théophile Gautier qui en fait la critique à sa création. Le livret s’inspire dans son intrigue et sa structure d’une nouvelle de Miguel de Cervantes, La Gitanilla, publiée en 1613. Remis au goût du jour, le sujet rend gloire aux conquêtes napoléoniennes du Premier Empire et répond aux sensibilités de l’époque, alors marquées par les voyages des peintres et des écrivains français en Espagne. Teintée de cette « couleur locale », la mise en scène de 1846 satisfait le besoin d’«exotisme » des spectateurs de l’époque, en présentant une Espagne romantique et poétisée.

Fidèle au modèle d’intrigue romanesque du 19e siècle, Paquita raconte l’histoire d’une jeune femme sauvée de la mort par une troupe de gitans espagnols. La visite du campement par la famille d’Hervilly, dont le père est venu surveiller le monument élevé à la mémoire de son frère assassiné au même endroit, font se rencontrer Lucien, fils du général d’Hervilly, et Paquita, qui danse pour les visiteurs français. Le jeune hussard tombe amoureux d’elle qui repousse avec regrets ses avances, s’estimant de condition trop modeste pour prétendre à un aristrocrate. Réussissant à déjouer un odieux complot d’assassinat imaginé par Inigo – le chef des gitans, amoureux du personnage éponyme et jaloux de Lucien –, Paquita est invitée au bal des Hervilly où elle est chaleureusement remerciée par Lucien. Les coupables sont dénoncés et la jeune femme découvre qu’elle est de haute naissance en reconnaissant le portrait de l’oncle de Lucien comme étant le même que celui de son médaillon, offert par son bienfaiteur. Paquita peut maintenant épouser son hussard et devient ainsi sa cousine (rassurons-nous : l’action a lieu durant le Premier Empire).

Malgré la complexité physique et technique de Paquita (surnommé « pas qui tuent » par les danseurs), le ballet est à la hauteur du prestige de la compagnie et des attentes des spectateurs montréalais. La danseuse étoile Amandine Albisson au pas léger danse le rôle-titre tout en conservant de la force musculaire, ce qui rappelle les mots de Gautier en décrivant les danseuses espagnoles de l’époque : «(…) et cependant, au moment venu, des bonds de jeune jaguar succèdent à cette langueur voluptueuse, et prouvent que ces corps, doux comme la soie, enveloppent des muscles d’acier ». Albisson reçoit les acclamations d’un public enthousiasmé suite à une série de tours sur elle-même d’une virtuosité époustouflante. Josua Hoffalt (Lucien d’Hervilly), fait preuve d’une extrême souplesse, donnant l’impression de rebondir sur la scène.

Les deux danseurs forment donc un duo remarquable, partageant une grande complicité dans leurs mouvements et leur jeu –particulièrement durant les pas de deux– d’une finesse d’exécution rehaussée par la somptueuse musique de l’orchestre. Les costumes rivalisent de beauté, jouant sur les contrastes pour distinguer les Espagnols des Français avec des couleurs vives et des tissus texturés. Fidèle à la tradition, la mise en scène est digne des gravures de la première représentation du 19e siècle et, le temps d’un ballet, les spectateurs montréalais se sont presque crus à l’Académie Royale de Musique le soir du 1er avril 1846.


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