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Chroniques musicales

Luce Engérant

27 fois l’aurore de Salomé Leclerc : un bocal de clichés flous.

Toutes les critiques du Québec semblent emballées par Salomé Leclerc. Malheureusement il est force d’admettre qu’ici votre humble apprentie-critique se sent tel un vieux chroniqueur journalistique, blasé, grisonnant et désapprobateur de ne pas parvenir à se joindre à la cohue des acclamations. Qu’on sache qu’il s’agit bien d’une opinion personnelle et sujette à l’erreur : 27 fois l’aurore de Salomé Leclerc ne me semble ni totalement bon, ni franchement mauvais.

Il y a pourtant énormément pour plaire ici : une jeune interprète, amazone virtuose de la guitare, une jolie voix profonde au timbre assuré et juste assez légèrement rauque. Salomé Leclerc avait prouvé ses capacités d’auteure-compositrice-interprète avec le rock-folk de son premier album Sous les arbres. Pour son deuxième, elle s’est offert des arrangements de maître de la part de Philippe Brault : le synthétiseur et les guitares s’y s’éclatent, les orchestrations sont solides et suffisamment intéressantes. Si le titre de l’album nous parle de l’aurore, il ne fait aucun doute que l’on se trouve avec la chanteuse dans de la pop sombre et mélancolique, du sérieux.  À titre d’exemple, le vidéoclip de la chanson « Arlon » montre la chanteuse vêtue de cuir, fixant l’objectif d’un air téméraire en arpentant une route brumeuse, alors, de jeunes gens vêtus dernier cri et tenant des lampes de poches apparaissent de la forêt derrière elle. Puis, elle se fait poursuivre par un camion qui l’assaille de ses pleins phares. Fin du clip. Tout cela est très esthétique, très « musical », mais qu’est-ce que ça signifie ? « Comme si des loups pointaient nos vies » dit-elle, qu’est-ce que ça signifie ? « Effacer le néant/ Que tourne le vent » dit-elle encore dans sa chanson « Le bon moment », tout cela sonne beau mais encore ? Les paroles de l’album sont de toute évidence très travaillées, entre la fleur de peau et l’armure, entre la fragilité féminine et l’émancipation, et on sent la fuite vers la noirceur, la difficulté d’aimer et d’être aimé. Mais au final la forme ne donne pas sur un fond intéressant, il y a bien de la tristesse et de bons mots, de belles formules, mais on n’évoque jamais au-delà de l’image qui est décrite, ce qui donne l’impression de regarder au fond d’un joli bocal creux. Dans cette atmosphère brumeuse qui s’étend dans la musique, il est vrai, orchestrée d’une main de virtuose, on finit par y voir flou : les chansons se confondent, les mélodies lentes se ressemblent et on se lasse. 27 fois l’aurore, secret à percer ou bulle vide ? Votre humble journaliste ne s’avance pas davantage.

Rêve américain d’Hôtel Morphée : fantasme musical.

ll s’agit ici du deuxième album pour le groupe montréalais après le succès critique de Des histoires de fantômes, sorti il y a moins de deux ans chez Audiogram. Le groupe, alternatif à souhait, a quand même fait partie de la programmation South by Southwest et gagné le Félix 2013 accordé à cette catégorie. Le quatuor est formé de Laurence Nerbonne, chanteuse et violoniste aguerrie, Blaise Borboën-Léonard, également violoniste, André Pelletier à la guitare et Stéphane Lemieux à la batterie. Pour leur deuxième opus, ils se sont lancés à fond dans l’ivresse du pop comme le signale leur titre Rêve américain. Hôtel Morphée part ainsi à l’assaut des icônes, les Marilyn Monroe de ce monde (comme dans leur chanson « Monroe est morte »), et sur la route des récits violents, à la Bonnie and Clyde, comme dans « Psycholove » : « Les mains couvertes de sang / Je t’aime en attendant ».  On peut voir dans les paroles les topoï exaltant du film américain : on y parle de mascara qui coule, de planification de meurtre passionnel, et de départ soudain sur la route pour l’étranger.

Le violon déchirant qui a fait la particularité du groupe reste bien présent dans des arrangements acidulés et accrocheurs comme dans le single « Dernier jour », qui a obtenu un certain succès cet été auprès des radios québécoises cet été. La chanteuse, égérie blonde du groupe, n’est pas sans rappeler celle de Metric, dans son look de nymphe blonde aux habits scintillants sur fond noir. Hôtel Morphée va à la musique comme à la guerre : c’est violent mais précis, calculé mais charnel. Une réussite en ce qu’il s’agit d’offrir des chansons au rythme entraînant et aux paroles envoûtantes, une musique qui donne dans la symbiose parfaite entre l’électronique et l’instrumental et qui promet de se faire soulever les foules et bouger les corps. 

Santa Maria de Dany Placard : chansons sans façons. 

Ne cherchez pas trop loin le second degré d’interprétation ici, c’est cru et direct, rock and roll et fièrement québécois. Santa Maria est le quatrième album solo du chanteur originaire de Laterrière au Saguenay—Lac-St-Jean, distribué par les éditions Simone.  Il s’y livre à une véritable excursion philosophique, doublée d’une quête existentielle, avec des expressions et des images de tous les jours, des morceaux de ce quotidien banal qui peut devenir nauséeux si l’on ne parvient pas à en rire. L’album s’ouvre donc avec la chanson « Confucius », qui consiste en une série d’aphorismes bien terre à terre. Par exemple : « C’est pas parce que tu fais l’innocent/ Que t’es cave pour autant », ou le sympathique : « Ce n’est pas parce que tu marches dans les bois / Que tu peux pas fumer une clope ». Le tout est très dru, mais charme par son authenticité, son indifférence pour l’image bien léchée et bien vue. On s’exprime en joual pur, dur et senti parce que c’est ainsi que l’on vit.

Côté musique on est dans le rock « lâché lousse », musique de « jam », musique des bois, musique pour défouler son corps et son âme à taper et à gratter bien fort de ses doigt. Mais le son reste contemporain avec ses arrangements audacieux et ludiques. On demeure ainsi dans le moderne grâce à l’ajout occasionnel d’orgue et guitare « pedal steel ». Le chant de Placard se rend parfois à la limite du cri, on sent son âme sur la corde raide, mais le rythme effréné se calme par moment, par exemple pour le nostalgique morceau « Julie Gagné », réminiscence sur la jeune fille inatteignable à jamais laissée au passé. La chanson Santa Maria, oasis de calme parmi la fougue des autres pièces est une prière tout simple adressée mélancoliquement à la vierge Marie. Une prière faite à genoux, mais sans façon : « J’pogne pas plus que ça / Marie veux-tu m’aider ».  Puis le chanteur emprunte un timbre plus country pour la chanson « Hot-dog Michigan », un retour sur soi poignant d’honnêteté. Le chanteur se questionne de façon émouvante sur son succès, sur sa carrière et ses rêves. On apprécie la fraicheur du tout, simple et agréable comme un soleil d’automne qui perce au milieu de la ville.


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