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Rendons grâce au calumet de la paix

Pour que ceux qui « s’en grillent une » ne soient plus jetés au bûcher.

Cécile Amiot

McGill s’acharne sur les fumeurs. 

Au printemps dernier, alors que sortir son briquet ne rimait enfin plus avec « t’auras les doigts gelés », l’administration de l’université a décidé de nous jeter en quarantaine : il n’est plus possible de fumer sur le parvis de McLennan. Ce lieu saint du travail abritait autrefois de fervents travailleurs qui, après avoir communié des heures avec leurs  coursepacks dans le silence inquisiteur de la bibliothèque, refaisaient le monde une cigarette à la main. Nous étions évidemment bien loin de ces images traumatisantes de sortie de lycée français de laquelle émane un épais nuage de tabac, issu de l’effort collectif d’une centaine de prépubères. Non, fumer devant McLennan était juste un acte en petit comité pour recharger son niveau de productivité, se plaindre ensemble du poids de nos ambitions, se rencontrer, discuter, débattre intelligemment, étendre son réseau le temps d’une « taffe », et certes — peut-être — un peu procrastiner. Nous n’étions pas qu’un club fermé affilié directement à la diaspora française : tout le monde était accueilli, Belmond au bec ou pas, et les briquets s’échangeaient avec générosité. Les non-fumeurs étaient toujours conviés à cette sauterie improvisée, et sous l’hiver montréalais, croyez-le, ils pouvaient respirer. 

Aujourd’hui, cette petite place de convivialité est vide, rendue aux mains de la nostalgie. Nous autres, fumeurs sociables, nous devons marcher, nous tenir debout dans un coin inconfortable, et tenter de recréer cet environnement inspirateur sur un bord peu abrité de McTavish. Pour vivre heureux, nous vivons cachés.

Le Québec s’acharne sur les fumeurs

Depuis 2006, le fumeur n’est plus qu’un clandestin dans sa province, un exclu de la société québécoise. Il n’a plus le droit de fumer dans des espaces publics intérieurs (même dans les espaces anciennement réservés pour ceux qui avaient décidé que l’oxygène était fade). Il doit s’éloigner à neuf mètres de certains bâtiments et s’offrir sans défense aux pires intempéries pour avoir droit à son élixir. Il ne peut même plus se retrouver dans une réunion de congénères tous fumeurs s’il organise ça en dehors de sa demeure… Et on lui a même ôté son droit à aspirer à un peu d’esthétisme : son paquet de cigarettes est d’une tristesse presque amorale. 

Le monde s’acharne sur les fumeurs

Après les barbares, les nobles, les soviétiques et les riches, les fumeurs sont devenus les nouveaux ennemis de l’humanité. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) lance une nouvelle doctrine politique offensive, nommée explicitement « Pour un monde sans tabac ». Dans ce manifeste pour l’extermination du « clopeur », l’OMS demande l’augmentation de taxes pesantes sur les consommateurs de tabac et lance une véritable propagande avilissant le fumeur. Déjà à Tokyo, Moscou et Istanbul, il est interdit de fumer dans tout lieu public ; le mouvement d’intolérance est planétaire !

Pourtant, l’envie de s’enivrer de fumée n’a longtemps dérangé personne… Au contraire ! 

Durant des décennies, il était beau, courageux, excentrique, branché, moderne, celui qui entre ses dents tenait la tige du plaisir ! 

Aujourd’hui, il est important de le défendre, celui qui, contre tous, ne courbe pas le dos et crie haut et fort son désir primaire de vivre comme il en a décidé. Laissons aux libertés et aux petites dérives une raison de perdurer… Et laissons aux ambitieux et aux détracteurs d’autres idoles à démolir. 


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