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Toi, étudiant à McGill

Ode au refus de la terreur.

Eléonore Nouel

C’est à toi que je parle aujourd’hui. À toi, lecteur du Délit, étudiant à McGill. Toi qui navigues dans tes premières années adultes, te ballottant de McLennan à Café Campus, à McLennan de nouveau. Toi qui, du haut de tes vingt ans, planifies des voyages, paniques sur ton avenir, finis des dissertations à la dernière minute. Toi, enfin, qui souhaites comprendre avant de juger. C’est toi qui, vendredi, es mort au Bataclan, au Petit Cambodge ou encore au Carillon.

Les terroristes ont délivré leur haine sur nous tous qui ne voulons pas faire la guerre. Devant la liberté, ils ont levé les armes, tuant sans compter, abattant sans frémir. Au droit à la différence, ils offrent un retourné sanglant. Ils s’accommodent d’un monde binaire ; faux, certes, mais si simple. En conséquence, ils ont mitraillé en leur cœur les principes de tous les peuples libres. Jean-Pierre Filiu, professeur à l’Institut Sciences Po à Paris et spécialiste du djihadisme, le dit lui-même : ce n’est pas la France qui était visée, mais bien l’Occident, ou plus précisément l’anti-Daesh. Ce sont des Français qui sont morts, mais c’est le monde qui souffre.

Devant la mort, l’horreur ou la barbarie, au choix, quelles conclusions doit-on tirer ? J’écris cette opinion sans recul, à chaud, TV5 Monde rejoue devant moi les vidéos amateurs les plus terribles — tenter de trouver une solution serait risible, voire superflu. 

Néanmoins, je me souviens de la chronique de Côme de Grandmaison dans Le Délit de la semaine dernière (p.9), qui citait Chers Djihadistes de Philippe Muray. Sommes-nous effectivement en train de nous complaire dans la déconstruction de notre société ? Nos démocraties suivent-elles des chemins parallèles à la continuité historique logique ? Nos nations libres souffrent-elles d’un « manque de signification » ?

Allons plus loin — je réfléchis avec vous, je ne fais pas l’avocat du diable —, doit-on s’habituer à un rythme de terreur régulier ? Nos enfants apprendront-ils à fuir les bombes, à anticiper les tirs de mitraillettes ? Ces scènes de guerre répétées deviendront-elles la norme, alors que Manuel Valls, Premier ministre français, nous explique que d’autres attaques sont encore à venir ?

Pour ma part, je ne tomberai pas dans la peur constante. Avoir la terreur comme principe de vie, c’est donner raison aux autres, ceux qui tirent parce qu’ils ne comprennent pas. S’ils veulent nous museler, nous ne nous laisserons pas faire. Nous ferons d’ailleurs la pire chose qu’ils puissent imaginer : vivre nos vies comme auparavant.

Il faut aussi comprendre que nous ne sommes pas seuls dans ce combat. Nous ne sommes pas témoins d’une attaque contre un pays-nation, mais bien d’une insulte à ceux qui ont soif de liberté. Je pense bien sûr aux peuples opprimés à travers le monde ; à ceux qui explosent à Beyrouth ou tombent devant Boko Haram. Face au drapeau bleu-blanc-rouge qui apparaît sur mon fil d’actualité Facebook, comme le coquelicot après la bataille, je ressens un malaise. Est-ce vraiment l’affaire d’un pays ? Jurons nous tous par le drapeau national pour les mêmes raisons ? Je pense aussi aux institutions européennes et internationales qui transcendent les nations. Le drapeau européen, je constate, est invisible sur les réseaux sociaux. Est-ce donc vrai que l’Europe n’est plus adéquate face à la « menace » ? Faut-il la détruire, ou la réformer à tel point que ses missions premières deviennent de purs symboles sans force ? Je frémis à cette idée.

Je refuse, en tout état de cause, d’être défaitiste. Je suis simplement persuadé que la réponse ne se trouve pas dans une France retranchée derrière ses frontières. La réponse à un mal mondial n’est pas nationale, quand bien même l’Hexagone doit aujourd’hui pleurer ses morts avec les honneurs que méritent les innocents. Elle dépasse les cultures et les délimitations géographiques. Si bataille il y a, elle se fera avec tous les peuples qui n’ont pas le droit de vivre dignement. Et alors, la victoire sera grande.


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