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L’art de garder son âme d’enfant

Peter Pan à la fenêtre du Players’ Theatre de McGill.

Après le complexe d’Œdipe, le « syndrome de Peter Pan » doit être le deuxième mal le plus important au sein de nos sociétés. Car, avouons-le : qui n’a jamais considéré avec nostalgie ses jours d’enfance si simples, où il suffisait simplement d’un peu d’imagination et de naïveté pour être heureux ? Kelly Richmond, metteure en scène de la dernière production du Players’, est sûrement atteinte de ce syndrome. Du 19 au 22 février et du 26 février au 1er mars, le petit théâtre du bâtiment Shatner de l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM) clôt sa saison 2013–2014 avec une adaptation du roman de J.M. Barrie Peter et Wendy.

À peine installés, nous sommes immédiatement plongés dans cette atmosphère si rassurante associée à l’heure du conte. La petite salle intime du Players’ se prête parfaitement à la circonstance, et le décor de la chambre des enfants Darling baigné d’un éclairage chaud contribue à l’aspect chaleureux du lieu.

Dès le début, la mise en scène se définit par un mouvement perpétuel. Les enfants Darling arrivent en trombe sur scène, criant et sautant, suivis de Nana la chienne-nourrice, non moins fébrile. Les garçons perdus, quant à eux, ne sont jamais à court d’idées ni d’énergie. Les chorégraphies de combat, quoiqu’un peu longues, sont très bien exécutées et contribuent au dynamisme du spectacle. L’action ne s’arrête jamais, et une musique qui rappelle le thème musical de Pirates des Caraïbes retient l’attention des spectateurs pendant les changements de décor. Le dialogue est lui aussi incessant : pour les scènes comportant plusieurs personnages, la metteure en scène a décidé de faire mimer aux personnages qui ne parlent pas une conversation secondaire pendant que le dialogue principal a lieu, ce qui donne un aspect plus dynamique à l’action.

Rebecca Pearl, qui tient le rôle principal (Peter Pan), parvient à s’imposer d’une manière incontestable sur scène, traînant dans son sillage la jeunesse et la vivacité qui caractérisent son personnage haut en couleurs. Rebecca passe d’une émotion à l’autre avec une incroyable versatilité, représentant ainsi avec perfection le caractère de l’enfant. Les compagnons de Peter Pan sont tout autant énergiques et ont chacun leur personnalité. On attendait davantage de candeur dans le jeu de Charlotte Doucette, qui incarne Wendy. En effet, cette Wendy-là semble jouer un peu trop souvent à la maman. Le regard ambigu posé par la jeune fille sur son futur rôle de femme est symbolisé par le choix esthétique de Kelly Richmond. En remplaçant l’image traditionnelle d’Amérindienne de Lili la Tigresse et de ses acolytes par une bande de louves rebelles et sensuelles, la metteure en scène a voulu illustrer « la menace à la fois plus sauvage et féminine » qu’elles représentent aux yeux de Wendy. Selon Kelly Richmond, cette représentation « se rapproche davantage des véritables intentions de J.M. Barrie pour ses personnages et de notre vision thématique et esthétique de la pièce ». Maka Ngwenya endosse la redingote écarlate du Capitaine Crochet avec tact, et ponctue la pièce d’un rire cruel et d’une voix rauque dignes de tout pirate qui se respecte. Maka assure son double rôle de Crochet et de Madame Darling avec brio. Toutefois, son interprétation de Madame Darling a tendance à verser dans le mélodrame vers la fin de la pièce, elle qui pourtant semblait être la plus raisonnée des deux parents.

La conclusion de Peter Pan n’est pas difficile à tirer : l’histoire du petit garçon qui refuse de grandir parle aux plus grands comme aux plus petits, comme les rires fusant tout au long du spectacle en témoignent. Tout comme Peter qui continuera à écouter les histoires aux fenêtres des chambres d’enfants, nous ne nous lasserons jamais de retomber, ne serait-ce que pour le temps d’une pièce de théâtre, en enfance.


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