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Une leçon bien apprise

L’Antigone d’Anouilh présentée par des étudiants de McGill : un jeu réussi.

Adam Banks

Deux rangées de spectateurs se font face. Au centre, sur scène, deux militaires disputent une joute de cartes. On voit, perché sur un banc, droit et fier, un vieil homme ; par terre, accroupie, sale, dans une nuisette en loque, une jeune fille. Avant même que la pièce ne commence, une dualité s’installe. Une atmosphère de tension est tangible. Un double combat se dessine ; celui d’Antigone, qui cherchera à sauver la mémoire de son frère, et celui d’une troupe de sept comédiens universitaires qui s’attaque à cette lourde pièce mythologique.

Antigone est la fille de l’union incestueuse d’Œdipe et Jocaste, les dirigeants de Thèbes. Faut-il le rappeler ? Œdipe découvrira en sa femme la mère qu’il avait voulu fuir. Devant la vérité trop difficile à voir, il se crève les yeux et s’exile de son propre royaume. Dévastée, Jocaste se donne la mort, laissant la gouvernance de Thèbes aux mains de ses fils Étéocle et Polynice. Aux suites d’une guerre civile, les deux frères s’entretuent. Créon, le frère de Jocaste et donc l’oncle d’Antigone, prend place sur le trône et émet un décret interdisant de donner une sépulture à Polynice sous peine de mort. La pièce met en scène l’entêtement d’Antigone à donner une sépulture à son frère. Elle impose sa loi contre celle de son oncle. Bien plus qu’un affrontement entre une jeune fille libertaire et un homme politique totalitaire, Antigone cherche les limites des choix que les hommes ont sur leur propre vie et questionne le coût de leur liberté.

La dernière mise en scène professionnelle du mythe d’Antigone sur les planches du théâtre montréalais s’était faite au Théâtre du Nouveau Monde en 2012, au cœur des protestations du Printemps étudiant.

Bien que le projet de Wajdi Mouawad n’ait à l’origine aucun rapport avec le mouvement étudiant, dans le contexte de 2012 la pièce avait pris pour certains une signification toute particulière. Le texte d’Anouilh choisi par le metteur en scène du Théâtre TNC, Harrison Collett, fait montre d’une universalité à l’épreuve du temps. Ce texte est en fait une réécriture de la pièce de Sophocle et est présenté pour la première fois en 1944 alors que la France est occupée par l’Allemagne hitlérienne. Les costumes, sobres, mais efficaces, issus des années 1940, opèrent ce rappel historique ; de même que le décor se résumant à un mur incrusté de trois portes rappelle la scène (skene) des théâtres grecs.

Sobre, mais efficace, voilà qui résume bien la proposition de Colett. L’interprétation est fidèle au texte ; le régime scénographique, épuré. Il n’y a pas de musique, pas de surprise. Il n’y a que des comédiens pour la plupart fort talentueux –il faut souligner la nuance du jeu de Thomas Vallières dans le rôle d’un des gardes et de Kyung-Seo Ming dans celui d’Antigone– qui savent rendre un texte puissant et difficile. Le metteur en scène ne prend pas de risque. On a ainsi le sentiment, au sortir du charmant sous-sol de Morrice Hall, d’avoir assisté à une représentation scolaire, une leçon bien apprise, pas fade, simplement : juste.


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