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#RoulezJeunesse

« On parle beaucoup du désintérêt des jeunes pour la politique » s’écrie Pierre Cazeneuve, fondateur du parti Allons Enfants, au micro de Radio France le 4 février dernier. « Nous voulons redynamiser [Saint-Cloud], lui donner une seconde jeunesse, mettre des jeunes au Conseil municipal ». L’initiative a de quoi faire parler d’elle : un groupe de 35 jeunes dont la moyenne d’âge est 21 ans, un programme basé sur la culture et le sport, l’environnement, ou encore le « 2.0 ». Considérant la voix de la jeunesse comme cruciale, leur but est de s’assurer que leurs idées soient entendues par le maire rentrant lors des élections municipales, les 23 et 30 mars 2014.

En plus d’être énergiques, les jeunes ont la tendance d’être beaucoup plus imaginatifs et innovants – en sortant des « sentiers battus », comme le dit Morane Shemtov, membre exécutif d’Allons Enfants. Qu’en est-il de ce parti ? Les idées sont rafraîchissantes, et se doivent d’être sérieusement prises en compte par le nouveau maire, qu’il soit de droite comme de gauche. D’ailleurs, ils ne briguent pas le poste ; ils souhaitent juste être pris en compte, et que leur voix soit entendue dans le débat politique.

Entrevue avec deux des membres exécutifs du parti « apolitique » Allons Enfants, qui cherchent à révolutionner les politiques jeunesse, en rentrant dans le jeu incertain des élections démocratiques.

 

ENTRETIEN :

Le Délit : Qu’est-ce que Allons Enfants, et quel est le but de l’organisme ?

Morane Shemtov : Allons Enfants est une liste apolitique, formée de 35 jeunes qui ont entre 18 et 25 ans. Elle a pour but final de se présenter aux élections municipales, dans la ville de Saint-Cloud (en Ile-de-France) qui se dérouleront en France les 23 et 30 mars prochains. L’idée principale de Allons Enfants, c’est avant tout de dynamiser Saint-Cloud et de lui apporter –on aime beaucoup le dire– un second souffle, un peu de vie et d’esprit jeune.

 

LD : Vous parlez de « second souffle ». Il consiste en quoi ?

MS : Je ne sais pas si vous le savez mais on dit souvent que Saint-Cloud est « une ville de vieux ». Donc un second souffle ce serait justement de casser ce préjugé et pouvoir dire que Saint-Cloud n’est pas une ville de vieux. Pour reprendre l’expression, on veut montrer que c’est une ville qui a un nouveau souffle, qui a de la vie, qui est conviviale, qui est amicale, qui est talentueuse, et cela grâce à ses jeunes.

 

LD : En tant que jeune, avez-vous vraiment une légitimité à vous présenter à des élections municipales ? Après tout, vous en êtes tous à votre première ou deuxième année d’étude ; certains d’entre vous sont toujours au lycée…

Mehdi Rédissi : Il faut savoir que nous ne visons pas les 50%. On ne veut pas être maires de Saint-Cloud ; on vise juste ne serait-ce qu’un siège pour que les jeunes de Saint-Cloud soient entendus.

MS : La légitimité qu’on peut avoir en se présentant aux élections, elle est dans ce que l’on propose et revendique : ce ne sont que des problématiques qui concernent les 18 à 25 ans (comme la création d’espaces dédiés à la jeunesse, l’implication dans un festival organisé chaque année à Saint-Cloud, « Rock en Seine », la création d’un incubateur de start-ups par exemple, ndlr). Les solutions que nous mettons en avant dans notre programme, elles sont légitimes puisque c’est grâce à notre expérience personnelle en tant que jeunes que nous avons pu les trouver.

 

LD : La question peut paraître idiote mais la voix des jeunes est-elle vraiment si importante que ça, en politique comme dans d’autres secteurs ? 

MS : Personnellement, je considère que la voix des jeunes est ultra importante en politique.

 Si les jeunes ne sont pas capables de faire ça, ce ne sont pas les personnes de 50 ou 60 ans qui vont s’en charger. En bref, pour moi, l’esprit jeune est capital.

LD : Mais pourquoi ? Quand on y pense, les jeunes n’ont aucune expérience, ils ne sont pas spécialisés dans leur milieu … Peut-on donc dire que la voix des jeunes est pertinente ?

MS : Je vais prendre l’exemple de notre campagne c’est très simple. On a eu cette semaine des gens qui nous ont dit : « je ne devrais plus avoir à voter ; c’est vous, les jeunes, qui devriez tout gérer. C’est à vous qu’appartient le futur ». Évidemment le raisonnement est faux, dans le sens où les personnes plus âgées doivent aussi se sentir concernées par toutes les problématiques, tant au niveau local que national ou mondial. Mais les jeunes doivent aussi mettre la main à la pâte et être capables de présenter leurs idées et leurs solutions. C’est eux qui vont pouvoir innover, comme nous avons pu le faire depuis un an au sein d’Allons Enfants. C’est eux qui vont pouvoir faire avancer les choses et les dynamiser. Si les jeunes ne sont pas capables de faire ça, ce ne sont pas les personnes de 50 ou 60 ans qui vont s’en charger. En bref, pour moi, l’esprit jeune est capital.

 

LD :  Dans l’interview de Pierre Cazeneuve, le fondateur d’Allons Enfants, avec La Péniche [journal étudiants de l’Institut d’Études Politiques de Paris (Sciences Po Paris)], il indique – et vous l’avez réitéré – qu’il ne souhaitait pas être élu. N’y aurait-il donc pas un autre moyen de faire parler les jeunes sans passer par le système pur et dur des élections ?

MS : Saint-Cloud a un conseil des jeunes : c’est une sorte de conseil élu plus ou moins démocratiquement avec des jeunes qui sont censés agir dans la ville pour les jeunes. Mais nous, on n’a pas trouvé l’impact de ce conseil très frappant. On s’est plutôt rendu compte qu’au final, le seul moyen de parler de la jeunesse, c’était en se présentant.

 

LD : La seule solution, c’était donc de se présenter.

MS : Oui voilà : se présenter, c’est peut-être la solution pour amener des idées puissantes. Si vous vous référez à notre programme, il est impossible par exemple de monter le projet du cumulus [un grand rassemblement de jeunes chaque dimanche « autour d’une scène électro, pour danser, pique-niquer, et jouer au foot ou à la pétanque pendant les beaux jours », selon leur site web, Allonsenfants2014​.org] en passant par le Conseil des Jeunes. Ce genre d’idées ne peut passer que par la municipalité.

D’une certaine manière, monter une liste nous a réconcilié avec la politique. En fait, on appellerait plutôt ça de la citoyenneté ; ce n’est pas tant de la politique.

LD : Bon, on s’est accordé pour dire que la jeunesse doit être représentée au niveau municipal et que sa voix doit être entendue. Concrètement maintenant, comment réconcilie-t-on la jeunesse avec la politique, sur le court comme sur le long terme ? De plus, comme fait-on pour faire en sorte que les jeunes de Saint-Cloud soient remarqués par le reste de la population ?

MR : Il s’agit de créer des associations comme Allons Enfants, que la jeunesse soit toujours représentée.

MS : La première étape, c’est nous, c’est d’avoir monté une liste composée uniquement de jeunes. Cette liste a été extrêmement fédératrice ; maintenant, toute l’équipe s’entend super bien, on est devenu proche. Monter cette liste a aussi créé son lot de débats assez intenses quant à toutes les problématiques qu’on a pu rencontrer au cours de l’année écoulée. D’une certaine manière, monter une liste nous a réconcilié avec la politique. En fait, on appellerait plutôt ça de la citoyenneté ; ce n’est pas tant de la politique. On est en opposition avec des partis de gauche et de droite, très bien. Mais notre action est avant tout citoyenne : on est des citoyens clodoaldiens, on est pas des politiciens.

MR : J’ai l’impression que vous pensez qu’on est un peu trop ambitieux pour la tâche.

 

LD : Mais c’est cette ambition qui nous intéresse. Car une fois les municipales terminées, vers où vous dirigez-vous ? Y a‑t-il un idéal sur le long terme ? S’agirait-il par exemple de créer un parti ?

MR : Concrètement, il nous faut 5% de voix pour être remboursés. Eh bien, rien qu’obtenir ces 5%, ce serait pour nous une grande victoire. Après, tout ce qui peut suivre est un plus et ça ne sera que du bonheur.

MS : Bien sûr que l’on veut continuer l’aventure. La synergie qu’Allons Enfants a créée, le fait que des jeunes se soit rassemblés pour nous soutenir : ça c’est incroyable ! […] En revanche, je vous avoue que nous pensons surtout court à terme en ce moment, puisqu’on est en plein dans la campagne. On est pas trop concentrés sur la suite ; on attend plutôt de voir comment gagner des voix, au final. C’est donc du très court terme.

 

LD : Même si vous êtes en effervescence, vous ne voulez pas aller plus loin que cette campagne.

MS : C’est vrai que notre premier but, ce sont les 23 et le 30 mars prochains. Il faut se concentrer sur les municipales. Est-ce que le mouvement peut continuer après ça ? Je ne sais pas, je ne peux pas vous répondre, même si ça serait génial. Laissons du temps au temps.

 

LD : Si on va au-delà de Saint-Cloud et qu’on regarde au niveau de la France, ou même de tous les pays démocratiques, on voit qu’il y a une sorte de désillusion et les jeunes ne font plus confiance à la politique. Est-ce que vous, en tant que « citoyens », vous êtes conscients de cette désillusion, et que cette dernière a été une motivation pour la création de Allons Enfants ?

MS : Je pense que c’est probable. Allons Enfants est parti de notre tête de liste [Pierre Cazeneuve, ndlr] qui a eu cette idée de manifestation politique et qui a ramené quelques personnes autour de lui. Maintenant, Pierre aime raconter qu’en arrivant à Sciences Po, il a connu une désillusion. Il a remarqué que tous les jeunes étaient ancrés dans des partis politiques et avaient tous les mêmes idées très ancrées dans les grands partis de gauche et de droite. Lui voulait sortir un peu des sentiers battus.

 

LD : Pour rebondir sur cette idée de sortir des sentiers battus : comment expliquez vous le fait que vous restiez accrochés à un système politique, qui est celui des municipales ? En d’autres termes, vous ne faîtes que renforcer les institutions politiques existantes, non ?

MS : Dans « sentiers battus », j’entends les grandes idées des grands partis. Je ne voulais pas dire être révolutionnaires, ou aller à l’encontre de la démocratie. Je pense que Pierre est très attaché aux valeurs de la démocratie ; l’idée n’est donc pas de sortir des élections démocratiques. Les « sentiers battus », c’est par exemple de créer un groupe apolitique.

 

LD : Maintenant que vous êtes des représentants de la France « jeune », imaginons que vous pouviez récréer le pays. Qu’elle serait l’hymne, la devise et sa figure allégorique ?

MS : Ouh, c’est compliqué comme question ça (rires). Évidemment, Allons Enfants est un rappel à La Marseillaise (l’hymne national français, ndlr), pour souligner notre côté pas révolutionnaire, mais plutôt innovant, en créant quelque chose de différent. C’est un peu de l’autodérision : on est révolutionnaires, mais on reste tout de même des enfants.

 

LD : Vous êtes révolutionnaires mais vous prenez une devise extrêmement vieille et qui est à l’origine de la République qu’on connaît aujourd’hui. Donc vous n’êtes pas si révolutionnaires que ça finalement ?

MS : C’est ça, vous avez raison. Disons que nous sommes des révolutionnaires au sein des institutions déjà existantes.

 

Qu’est-ce qu’une révolution qui se borne à rester ancrée dans la même structure qu’elle critique ? Doit-on faire de ce cas particulier le symbole de la jeunesse française ? Pourquoi une telle amplification d’une action citoyenne purement locale ?

Ils s’attellent à trouver des réponses concrètes à des problèmes du quotidien, et les internautes et les médias leur ont donné mission de réveiller la France.

On regrette que ce mouvement soit seulement un second souffle pour une petite ville et non un grand coup de frais par la jeunesse. Les intérêts défendus ne sont pas ceux d’une nouvelle France mais des intérêts finalement peu exportables, même si ce n’était peut-être pas leur but premier. Ils se sont érigés en symbole, en une promesse dynamisante, un signe de réconciliation des jeunes avec la politique, véhiculant cette image par Internet. Mais leur mouvement et leur combat ne vont pas aussi loin qu’on semble le croire. Comme le rappelle Morane Shemtov leur action est « citoyenne » et non « politique ». Ils s’attellent à trouver des réponses concrètes à des problèmes du quotidien, et les internautes et les médias leur ont donné mission de réveiller la France. En fin de compte, il s’agit d’une campagne somme toute assez classique, le mot-clic (hashtag) en plus. Et c’est finalement cette mauvaise interprétation du mouvement qu’on devrait étudier.

Qu’en est-il des groupes de jeunes dans d’autres nations démocratiques ? Comment fonctionnent les autres groupes de jeunes actifs en politique ? Montréal et le Québec apportent la preuve d’une jeunesse dynamique, présente sur la scène politique québécoise. On pense d’abord au Parlement jeunesse du Québec (PJQ), qui vise à inviter les 18–25 ans à faire de la « politique sans parti pris ». Parlementaires, présidents de commissions, ministres et le Premier ministre ; l’Assemblée nationale est la leur pour cinq jours chaque décembre, pour débattre de projets de lois préparés en amont sur la parité, l’immigration, la sécurité publique ou encore la génétique. Tout est fictif mais leurs paroles sont entendues jusqu’aux plus hautes instances de l’État.

Les initiatives locales ne manquent pas à Montréal aussi. On dénombre une demi-douzaine de conseils de la jeunesse, les plus gros étant le Jeune Conseil de Montréal (JCM) et le Forum jeunesse de l’Ile de Montréal. Une grande majorité des villes au Québec ont au moins un conseil. Ces organes, reconnus par les instances gouvernementales concernées, ont un véritable pouvoir de lobby, qu’ils useront à bon escient à plusieurs reprises. Le maire de Montréal, Denis Coderre, élu en novembre dernier, s’est présenté lors du JCM 2014, qui a eu lieu dans l’Hôtel de Ville.

Parmi les plus grands opposants à la Charte des valeurs, présentée par le gouvernement péquiste en place, on trouve des étudiants comme Dalila Awada.

Les jeunes se mobilisent dans le monde entier sur la scène politique, sous différentes formes, montrant que, dans tous les cas, la politique a besoin d’être réinvestie par la jeunesse.


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