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Humour noir

Martin Crimp mis en scène par Denis Marleau.

Caroline Laberge

La Ville, pièce du dramaturge britannique Martin Crimp, est en représentation à l’Espace Go jusqu’au 22 février. Mise en scène avec habilité par Denis Marleau et Stéphanie Jasmin, l’œuvre entraîne le spectateur dans le quotidien en apparence banal d’un couple de citadins. Au rythme des saisons et en cinq volets, il voit se dérouler la vie de Clair (Sophie Cadieux), de son mari Christopher (Alexis Martin) et de Jenny (Evelyne Rompré), une voisine intrusive qui vient leur livrer ses angoisses. Clair exerce son métier de traductrice avec lassitude, frustrée de ne pouvoir qu’effleurer le monde des écrivains. Christopher vient de perdre son emploi et par la même occasion son dynamisme de père de famille. Enfin Jenny, infirmière insomniaque, est poursuivie par son obsession pour la guerre, cette guerre secrète d’où son mari, parti en tant que médecin, lui donne des nouvelles.

Dès les premières minutes, le public comprend qu’il n’assistera pas à un théâtre de l’espace où le mouvement, dans sa fréquence et son extravagance, constitue une part entière de l’action. Il se trouve, à l’inverse, face à un théâtre où les déplacements sont restreints et les personnages souvent figés. La sobriété du jeu des acteurs ainsi que de leurs gestes laisse se développer pleinement un théâtre de langage où le texte tient une place prépondérante.

Les trois protagonistes, tour à tour, s’expriment par tirades pour rapporter des histoires au caractère anecdotique. Le dramaturge vient de cette façon soulever la question de la fonction de l’interlocuteur. Celui qui écoute peut-il véritablement être perméable au discours de celui qui parle ? Celui qui parle accorde-t-il une valeur à celui qui l’écoute ou n’est-il qu’un pantin qui vient alimenter un procédé introspectif ? À travers ce triangle relationnel et les échanges verbaux qui s’y déroulent, se dessine une frontière hermétique entre l’être et la réalité qui l’entoure. Au-delà d’une réflexion sur la primauté de notre intériorité par rapport à l’existence de l’autre, la pièce soulève également des interrogations sur une variété de thèmes tout aussi ambitieux.

Le personnage de Jenny aborde, pour sa part, le thème de la guerre ; cette guerre à laquelle participe son mari et dont on ignore l’origine autant que le lieu. Ce que l’on sait en revanche, c’est que comme toutes les guerres, il faut tuer, tuer « ceux qui s’accrochent à la vie [car ils sont] les plus dangereux de tous ». Christopher, quant à lui, soulève plus particulièrement la question de l’importance du travail dans notre société. Sans emploi, il se retrouve être homme sans dignité ni virilité, méprisé par sa femme. Cette dernière vient introduire le thème des relations de couple où l’homme comme la femme ont des rôles bien définis dont il n’est pas bienvenu de se détourner. Si la gravité des sujets évoqués laisse planer un malaise par lequel le spectateur est happé, l’humour noir cinglant de l’auteur vient rompre avec la tension dès qu›elle devient insoutenable. Dans la salle, des rires sonores témoignent du soulagement. Cette pièce de théâtre, marquée par le cynisme cru pour lequel Martin Crimp est réputé, invite le public à des réflexions sociétales concrètes tout en lui offrant un spectacle où s’entremêlent réel et imaginaire.


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