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Contre l’histoire littéraire

Les oubliés de la littérature française

« Qu’est-ce que la littérature ? », se demandait J.-P. Sartre en 1947. Une des conclusions du petit Sartre (1m53, sur la pointe des pieds) impliquait la recherche du public, des lecteurs. Un écrivain se doit, selon lui, de savoir pour qui il écrit, c’est une condition préalable et nécessaire de l’écriture. Mais si l’on retournait ce concept ? Autrement dit, chercher des lecteurs pour des oeuvres déjà écrites.

Qu’est-ce qui m’a amené à un tel constat ? Pourquoi faudrait-il trouver des lecteurs à des oeuvres publiées de longue date, au point d’en faire l’objet d’une chronique dans Le Délit ? Cherchons, comme Montaigne, dans l’espoir de trouver.

Faites donc un petit sondage parmi vos condisciples, quelle est leur œuvre littéraire favorite ? J’entends, je devine déjà leur réponse. Le Petit Prince (est-il plus grand que Sartre?), Bel-Ami, L’Étranger. Certains tentent une excursion en Amérique : Gatsby le Magnifique, Sur la Route, L’Attrape-Cœur. Quel ennui !

Je ne juge pas la qualité littéraire de ces chefs‑d’œuvre proclamés, mais bien la fâcheuse tendance de ne retenir que les classiques dans l’histoire littéraire. Poète préféré ? Réponse A : Arthur Rimbaud. Réponse B : Paul Verlaine. Déjà, ils couchaient ensemble ces deux-là (et c’est mademoiselle Rimbaud qui prenait). Réponse C : Rudyard Kipling. Réponse D : Pablo Neruda (des étrangers, c’est exotique). Ce sont peut-être les plus grands poètes de l’histoire (Paul Verlaine, 1m77), loin de moi l’idée de remettre en cause ces acquis, seulement leur corps tout entier face au soleil de la littérature jette une trop grande ombre sur leurs confrères. On les oublierait presque.

Autre exercice : je vous nomme un siècle, donnez-moi le nom d’un auteur que ce siècle évoque pour vous. XVIe : Alcofribas Nasier. XVIIe : Poquelin. XVIIIe : Arouet. XIXe : Beyle. XXe : Ajar, et beaucoup d’autres. En un siècle de littérature, sommes-nous seulement capables de retenir une poignée de noms ? Pourrait-on pousser un peu ces géants pour faire apparaître des littérateurs plus modestes sur le devant de la scène ? C’est ce que je me propose de faire.

Cette tribune est dédiée à tous les poussés au cul de la littérature. Mais rassurez-vous, je n’irai pas dénicher un manuscrit trouvé au fond d’un carton portant la marque d’un obscur écrivain bolivien. Je me contenterai plutôt de faire les fonds de tiroir de la Nouvelle Revue Française, des auteurs français oubliés du siècle dernier. C’est une tâche humble devant, finalement, la littérature que je vais entreprendre. Mis au ban de la société littéraire, dénigrés par leurs contemporains ou simplement perdus dans les oubliettes de la littérature française du XXe siècle, certains auteurs méritent une plus grande place dans nos bibliothèques et dans nos coeurs que celle, inexistante, qu’ils occupent aujourd’hui chez un grand nombre de nos contemporains. Il va falloir que Camus, Saint-Éxupéry et consorts fassent un peu de place, se poussent dans les coins de l’antichambre de l’histoire littéraire, pour y faire entrer quelques-uns de leurs compatriotes, aussi talentueux qu’eux.


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