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À travers nos frontières

Colloque international sur les frontières à l’UQAM.

On associe frontière et barrière. Les frontières ferment des espaces, certes, mais ne les ouvrent-elles pas aussi ? Clôture ou portail ? C’est la question que se sont posé plusieurs professeurs de différentes universités pendant le colloque international « Frontières, murs et sécurité » organisé par l’Observatoire de géopolitique et l’Association for Borderland Studies à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) les 17 et 18 octobre derniers.

Les frontières définissent le corps et sa mobilité, explique Ulrich Best, professeur à l’Université de York. La frontière est une notion à deux faces opposées. Il y a l’aspect « clôture culturelle », la légitimation de l’identité. Le professeur Best dit que le philosophe Foucault trouvait dans la mise en quarantaine des pestiférés la définition même de la frontière : une question d’hygiène, « une ségrégation physique des corps en bonne ou en mauvaise santé ; le lien est donc clair entre la politique des frontières et celle des corps ». Ulrich Best base son exposé sur l’exemple de la discrimination des Romanichels, plus communément appelés Roms. Accusés de pollution de l’espace, d’avoir un mode de vie peu hygiénique, de vivre « contre le système », ils sont rejetés par la plupart de la population. Le professeur de l’Université de York présente deux murs anti-Roms. Le premier en 1999, à Usti nad Labem en République Tchèque, abattu après quelques semaines ; le second au cours de l’été 2013, à Kosice en Slovaquie, ville qui pourtant prône le multiculturalisme.

Le professeur Said Saddiki de l’Université de Sciences et Technologies d’Al Ain a parlé des frontières d’Israël, qui ont permis la construction de l’État israélien par opposition aux pays Arabes : la bande de Gaza, la ligne Bar-Lev, le plateau du Golan sont tant d’exemples qui illustrent la lutte anti-palestinienne et anti-syrienne.

Les professeurs Laurence A. French, de l’Université du New Hampshire et Magdaleno Manzanarez de l’Université du Nouveau-Mexique ont mentionné la politique des États-Unis envers les Indiens d’Amérique et les populations métis, communautés ethniques ghettoïsées dans leur propre territoire. Ces murs-là sont l’expression du refus catégorique de se mêler à ceux qui ne vivent pas comme la culture dominante. Dans ce cas-ci, la clôture préserve l’identité.

Et puis, il y a l’aspect « portail », où les frontières sont synonymes d’ouverture. Ici, elles ne différencient plus vraiment, mais sont les veines de la mondialisation. On peut mentionner le modèle européen de l’espace Schengen, par exemple : la libre circulation des personnes, des marchandises et des capitaux entre 26 pays européens. Le conférencier Isidro Morales, de l’Institut technologique de Monterrey au Mexique a donné comme exemple l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). La création de cette région de coopération économique entre le Canada, les États-Unis et le Mexique représente bien cette idée de frontière pour et par la mobilité. C’est « l’approfondissement du commerce trilatéral, l’intégration de valeurs communes pour renforcer la compétitivité », comme l’explique Morales. Une intégration solidaire à l’espace économique mondial et régional. Toutefois, Isidro Morales souligne l’ambivalence de la position américaine face à la frontière mexicaine : le Mexique est à la fois une réserve de main d’œuvre bon marché et un espace potentiellement dangereux. C’est un centre majeur de trafic de drogues et de criminalité. L’exode mexicain vers les États-Unis constitue un vrai problème pour la politique d’immigration : les budgets destinés à limiter les flux d’immigration illégale sont faramineux et n’empêchent pourtant pas ces flux d’augmenter.

La ligne est mince entre ces deux fonctions de la frontière : échange et exclusivité s’y alternent constamment. Il appartient à chaque nation, parfois même à chaque minorité, de définir ce qu’elle entend par “frontière”.


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