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Au-delà de l’hypersexualisation

Les genres en question

La semaine dernière, l’économiste Iannick Marcil, le médecin Alain Vadeboncoeur et la militante féministe Léa Clermont-Dion ont lancé une pétition pour inciter le gouvernement Marois à interdire la venue au Québec des concours de beauté style « mini-Miss ».

Plus tôt au mois de septembre, un journaliste de L’Écho de Laval nous apprenait en effet que l’organisme britanno-colombien National Canadian Girl (NCG) avait annoncé la tenue en novembre d’un gala mini-Miss, à Laval. En moins de quarante-huit heures, la pétition anti mini-Miss a récolté plus de 35 000 signatures. Sur les réseaux sociaux, elle s’est répandue comme une traînée de poudre, suscitant des réactions quasi-unanimes : des concours de beauté encourageant le culte de la superficialité chez les jeunes filles, pas chez nous !

Questionnées sur la nature de leur événement, les porte-paroles de NCG affirment cependant que la compétition, qui s’adresse aux jeunes filles de 0 à 19 ans, n’a rien d’un « concours de beauté » au sens strict. Il s’agirait plutôt d’un concours de « personnalité » et de « talent ». La preuve, le maquillage y est proscrit, et toutes les participantes âgées de plus de 4 ans doivent prononcer un discours sur scène, à partir duquel on évalue leur éloquence, leur élégance et leur capacité à faire « bonne impression ». Rien à voir avec l’hyper-sexualisation, l’objectification précoce des jeunes filles et tous les autres stéréotypes qu’on attribue généralement aux concours de beauté. Je réprime difficilement un roulement d’yeux ici.

D’abord, soyons clairs : peu importe la vertu dont les concours de Miss se bardent, ils demeurent des promoteurs d’une image aliénée et débilitante de la « féminité idéale ».Je dirais même que le pire avec les concours de Miss, c’est  qu’ils ont l’imposture de prétendre rechercher des femmes dont la « personnalité » égale, voire surpasse, la beauté. « Avant tout », une tête forte, dira-t-on. Accessoirement vissée sur un corps bien entretenu. Mais quel genre de « personnalité » entend-t-on, au juste ?

Comme l’explique NCG sur son site web, les compétitions sont avant tout axées sur la prestance, l’élégance et l’aptitude à parler en public, ainsi que sur la promotion de certaines valeurs [évidemment] nobles comme la confiance, l’estime de soi, la charité ou l’esprit sportif. Des « belles valeurs » que toute femme « bien ordonnée » doit chérir et promouvoir. Disons-le, c’est en fait concevoir « la femme idéale » comme potiche inoffensive et divertissante. Ces concours alimentent une notion de la féminité idéale qui semble figée dans les années 1950. La femme premium se devra donc d’être belle, bien mise, dédiée, consciencieuse, élégante, performante, pro-active, charmeuse, consensuelle…et on pourrait aussi ajouter, en note de bas de page, cisgenre, hétérosexuelle, « d’apparence saine » et habile sur des talons de 8 pouces.

La seule différence avec le modèle de la ménagère idéale de la première moitié du siècle dernier, c’est qu’on valorise ici son ambition professionnelle. Après tout, la femme contemporaine bien en ordre doit savoir se conformer aussi aux contingences du marché de l’emploi ! N’est-ce pas ?

Or, ce profil ne correspond au fond à rien d’autre qu’à celui de la femme telle que le marché de consommation la conçoit. Lisse et sans altérités. Surtout, ne pas faire de vagues. Et pour toutes celles dont la beauté puise sa source dans les marges, eh bien tant pis. Comme si la féminité, la vraie, devait s’inscrire à l’intérieur du cadre qu’on veut bien lui allouer. Et puis il y a aussi ce fichu double standard. Celui avec lequel les femmes doivent encore conjuguer à ce jour, à peu près partout où elles passent, et qui constitue la pierre angulaire de tous les concours de beauté. Ce double standard qui prescrit qu’il ne suffit pas d’être compétente, intéressante et « engagée ». Il faut aussi être jolie ; jolie comme la culture de masse nous le dicte, bien sûr.

La beauté n’est donc peut-être pas le critère ultime du concours, ni la clé pour accéder au titre convoité, mais elle demeure néanmoins une contingence implicite ; une barrière à l’entrée non négociable. Il faut d’abord que la femme ou la fillette soit conforme à certains critères esthétiques pour qu’on daigne ensuite considérer son caractère. À preuve, voit-on défiler sur les podiums de ces concours beaucoup de femmes dont la personnalité est remarquable, mais qui sont plutôt rondes, queer ou encore qui souffrent d’un handicap physique quelconque, par exemple ? Non. Bien sûr que non. Au registre de la diversité corporelle, on pourrait difficilement imaginer des échantillons plus homogènes. Quant à l’éloquence, disons qu’on se contente de très, très peu. Niveau « ras-les-pâquerettes » en terme d’intellection, et je doute qu’on puisse trouver une exception à la règle. Juste le fait de prendre sciemment part à un beauty pageant révèle à mon avis un discernement assez moyen. Parce qu’il faut être franchement inconscient pour participer à une mascarade aussi rétrograde.

Pour en revenir à la version « mini » des concours de Miss, il est donc à se demander si, au-delà de la tyrannie de l’apparence et de l’hyper-sexualisation, c’est la conception de la féminité qu’on veut transmettre aux jeunes filles. Car bien que ces concours prétendent promouvoir la force de caractère, l’engagement et la compétence, ils se collent en fait à une définition terriblement exclusive et antiféministe de « ce que devrait être une femme ».

Or, à mon sens, ce qu’on devait enseigner aux fillettes, c’est plutôt que la féminité « idéale », moyennant qu’elle existe, n’est pas faite pour être contemplée ou applaudie. Elle ne s’évalue pas sur une scène, pas plus qu’elle ne « s’émule ». Elle n’est pas complaisante, lustrée ou strictement élégante. Elle ne rentre pas toujours dans une robe à paillette. Elle est mouvante, éclatée et complexe. Parfois rageuse, toujours forte et courageuse. Et surtout, elle n’a pas besoin de diadème pour s’affirmer. Elle peut légitimement se contenter d’être vécue. Un point, c’est tout.


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