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Le beau est affreux…

Le Players’ Theater replace MacBeth durant la Première Guerre Mondiale.

Victor Tangermann

Et l’affreux est beau. Comment renouveler une pièce aussi connue que MacBeth, jouée et rejouée dans le monde entier ? C’est la question que s’est posée la troupe du Players’ Theater dans cette nouvelle adaptation, où elle reprend le texte original de la pièce de William Shakespeare et l’inscrit dans une temporalité plus proche : celle de la Première Guerre Mondiale.

Le choix du réalisme
L’adaptation est ancrée dans une réalité bien précise. Le décor tourne sur lui-même pour permettre à la scène de devenir deux espaces distincts, délimitant le public et le privé, et matérialisant, d’une part, l’extérieur du château de MacBeth, et d’autre part, l’intérieur du château qui se fait tour à tour chambre et salon. Les costumes, quant à eux, sont des répliques d’uniformes militaires, sobres et permettant à toute la pièce de se construire autour de quelques couleurs : le kaki, le marron et le gris.
Le cadre est ainsi posé dès l’ouverture. La pièce va tenter pendant deux heures et demie de retranscrire une double violence : celle de la pièce originelle et celle de la Première Guerre Mondiale. Un mélange qui peut paraître paradoxal et que Martin Law, le metteur en scène de la pièce, justifie ainsi dans une entrevue avec Le Délit : « D’habitude, lorsque les metteurs en scène tentent de re-moderniser des pièces, ils se contentent d’habiller les acteurs en costume-cravate. Je voulais un temps ou tous les éléments étaient réunis – la guerre, le chaos, l’ambition – et ré-actualisés à la fois. L’Europe de la Première Guerre Mondiale m’a semblé être le lieu idéal ». Surprenant au départ, on est pourtant peu à peu pris dans cet univers où les fusils ont remplacé les épées.

Un couple prometteur
Si l’atmosphère parvient à s’affirmer, c’est notamment grâce au jeu des acteurs, qui, parfois inégal, permet néanmoins quelques scènes remarquables. Le couple formé par MacBeth et Lady MacBeth (Matthew Rian Steen et Annie MacKay) peine à s’affirmer à l’ouverture. Ce n’est qu’après l’entracte que les deux acteurs prennent la pleine possession de la scène et de leur capacité. Attendue depuis le début de la représentation, la scène dans laquelle Lady MacBeth sombre dans la folie et s’imagine voir des taches de sang ne déçoit pas. MacBeth parvient, de son côté, à progressivement s’affirmer, et, du personnage faible de l’acte I, devient un tyran sanguinaire à l’acte V. Le jeu de l’acteur suit cette progression, et si sa performance n’est pas très convaincante au début de la pièce, elle semble s’améliorer au fil des scènes.
Une attention spéciale doit être accordée aux personnages secondaires, qui volent parfois la vedette au couple principal. Les Trois Sorcières offrent ainsi de belles scènes, aussi bien sur le plan esthétique que dans leur jeu : des personnages bien définis, qui rendent compte de l’ambiance quasi-fantastique de la pièce de Shakespeare.
Réussite particulière, enfin, de la scène du Portier (Matthew Banks), qui insiste sur le caractère tragi-comique de MacBeth et fait osciller le spectateur entre une angoisse grandissante et un inévitable rire.
Ces moments-clés sauvent la pièce de certaines longueurs qui menacent de faire s’écrouler l’édifice parfois très précaire d’une adaptation au rythme par moments un peu lent.

« Rien n’existe que ce qui n’est pas »
Le poids de la fatalité tragique hante la pièce de Martin Law. Il réussit à réinterpréter celle-ci à l’égard du thème shakespearien du masque et des apparences trompeuses. Le masque est ainsi un élément omniprésent : le couple MacBeth le porte en traître après l’assassinat du roi ;  Banquo, le chef assassiné, fait de même lorsqu’il revient hanter MacBeth lors de son premier repas en tant que Roi ; les Trois Sorcières en portent lorsqu’elles s’adressent à MacBeth pour la dernière fois. Le masque garantit l’angoisse et la tension dramatique, et les scènes masquées contribuent largement à relancer l’action lorsque le rythme faiblit. On peut peut-être relever ici l’un des problèmes majeurs que pose l’adaptation d’une pièce de William Shakespeare dans un contexte qui est marqué par sa propre violence et qui est déjà très historicisé. En effet, le contraste entre l’hyper-réalisme de la pièce et les éléments fantastiques et symboliques ne semble parfois pas parfaitement maîtrisé. Si l’idée est bonne, la contradiction ne parvient pas toujours à être dépassée et peut paraître presque anachronique et caricaturale. Les éléments fonctionnent chacun de leur côté, mais ne forment pas un tout régulier.

Montrer la violence
Cela est peut-être dû à l’introduction d’un nouveau thème qui, s’il est évoqué plus qu’il n’est montré dans la pièce originale de Shakespeare, prend il est vrai son sens dans ce nouveau contexte : Law a insisté dans cette adaptation sur la violence et les possibilités de montrer celle-ci. Le programme l’annonce clairement, des scènes de violence sont à attendre. Alors que dans le texte tous les meurtres ont lieu hors de la scène, ils sont tous ici, à part celui du Roi, représentés sous les yeux du public. L’utilisation des armes à feux renforce la violence parfois extrême des scènes de combat. Le meurtre final de MacBeth est particulièrement impressionnant, car le combat collectif incluant presque toute la troupe se finit sur un duel au pistolet. Celui-ci met fin à la folie d’un MacBeth dont l’interprétation atteint dans cette scène son paroxysme, et qui trouve un juste équilibre sans tomber dans le sur-jeu.
C’est, à mon sens, ce qui réactualise pleinement la pièce. En entrevue avec Le Délit, le metteur en scène Martin Law souligne que « la pièce est encore très contemporaine ». En tant qu’étudiant en Histoire à McGill, il croit que MacBeth semble pouvoir s’adapter à toutes les époques. Montrer la violence sur scène est une étape de plus qui permet d’ancrer la pièce à la fois dans le contexte de la Première Guerre Mondiale et dans celui de la société contemporaine.
MacBeth parvient à traverser les siècles jusqu’à parvenir à la salle de spectacle du Players’ Theater de McGill. S’il y a des hauts et des bas, le travail de toute la troupe est à mettre en avant, et on passe un bon moment qui s’avère, parfois, être original.


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