Aller au contenu

« Un stylo, un espoir, un combat »

« Salutations non distinguées…», premier roman de Baptiste Mathon

Salutations non distinguées…, c’est l’analyse d’une délivrance, l’histoire d’une renaissance. Cette délivrance, c’est celle de Jean, jeune homme de vingt-trois ans au lourd passé.
Enfant choyé d’une famille catholique pratiquante, « héros ordinaire », sa vie est bouleversée à quinze ans. C’est au travers d’une lettre, placée au milieu du roman, qu’on découvre son histoire ; son viol par l’aumônier de sa paroisse et toute la souffrance, la peur, l’angoisse et la culpabilité qui l’ont habité durant les sept années qui suivirent. Jean s’ouvre, se dévoile, mais surtout confronte ses peines, ses peurs, et son bourreau dont l’emprise psychologique est aussi forte que le silence du jeune homme. Au fil de la lecture, c’est avant tout son envie de vivre, son désir d’une vie normale, en grandissant, qui nous marque.
La plume du jeune écrivain est humble, sans prétention. Les descriptions se font d’un grand réalisme et d’une grande précision, au point d’être cliniques dans certains passages. Tel un chirurgien, l’auteur dissèque, analyse sans jugement les faits, les émotions pour permettre à Jean de divorcer de son passé, de se libérer. On ne tombe toutefois pas dans le sentimentalisme. Au travers du récit à la première personne, une certaine confiance s’installe entre Jean et le lecteur. On sympathise avec lui ; son histoire nous touche. On compatit devant sa peine, mais on ne la revit toutefois pas. Jean « ne voulait pas de pitié, [il] voulait juste parler, [se] libérer un peu plus ». Cette distance permet un regard critique mais aussi témoigne d’un certain respect du sujet de la part de l’auteur. On ne tombe pas dans les détails salaces, crus, du viol, et le ton du roman ne se fait ni léger ni jovial. Il est sérieux, optimiste, intriguant : le lecteur se laisse entraîner d’une page à l’autre, désireux de découvrir le parcours salutaire du jeune homme de vingt-trois ans.
On saura toutefois regretter le style de certains passages. Les phrases longues, périphrastiques, quelque peu superflues, ralentissent la lecture et cassent le rythme de l’histoire. Certaines tournures sont ainsi maladroites : le lecteur a du mal à comprendre leur sens au premier abord. Quelques descriptions sont redondantes, superflues et n’apportent rien de plus au propos. Les touches d’humour, placées ici et là, bien qu’un effort louable d’alléger l’atmosphère, semblent se perdre dans le contexte. L’édition du texte se révèle aussi être inconsistante. Certaines dates de l’histoire semblent se contredire dans le roman et, confus, on se retrouve à recréer une chronologie du mieux qu’on peut.
Malgré ces erreurs de jeunesse, Salutations non distinguées… est un pari réussi pour un premier roman. Son histoire provoque, touche. Son optimiste marque. Au-delà de l’histoire et du roman, c’est aussi la découverte d’un nouvel auteur, Baptiste Mathon, dont on découvrira plus à l’avenir.

Le Délit s’est entretenu avec Baptiste Mathon, auteur de Salutations non distinguées…

Le Délit : Premièrement, qu’est-ce qui t’a donné l’envie d’écrire ?
Baptiste Mathon : Lire, je pense. Déjà tout petit, quand je jouais au Playmobil, je m’inventais des histoires. J’ai toujours inventé des histoires. J’ai toujours aimé cela et puis aussi loin que je puisse me rappeler j’ai toujours écrit des petits trucs dans des carnets.
C’est quelque chose qui est viscéral. Ce n’est même pas vraiment une envie. Je dirais que c’est un besoin. Si je n’écris pas, j’ai l’impression d’étouffer. Écrire, c’est se libérer, c’est s’indigner, c’est se révolter. 

LD : Dans ta description, il est aussi mentionné que tu es intéressé par les héros ordinaires. Jean, dans le roman, c’est un peu toi et moi. Qu’est-ce que tu considères comme étant des héros ordinaires ?
BM : Les héros ordinaires, c’est tout le monde. On est tous des héros ordinaires. Ça m’a toujours fasciné, quand on était petit, qu’on nous impose des héros dans les dessins animés, et même dans nos jouets. Je n’étais pas de ces enfants-là qui jouaient aux Action men, aux G.I. Joe, aux gens qu’on nous pose en héros, car ils ont des capacités surhumaines. Je considère qu’on peut tous être héros, ou salope, ou méchant, ou parfait à un moment de sa vie. On est tous différents et en même temps tous pareils. On peut être héros à un moment de notre vie et ne pas l’être à un autre moment.
Et puis, il y a des gens qu’on ne remarque pas dans la rue, parce que ça ne se voit pas, parce qu’on n’en parle pas à la télévision, mais qui se battent tous les jours contre plein de choses. Et ça, je trouve que c’est de l’héroïsme quotidien. Et c’est surtout à ça que je voulais rendre hommage, plutôt que ceux qu’on montre nus dans les médias parce qu’ils ont fait une chose à un moment. Je pense que même dans la société dans laquelle on est aujourd’hui, il faut remettre les choses en place. On adule souvent des gens célèbres, on ne sait pas vraiment pourquoi. En général, ils sont célèbres, et ensuite ils essaient de faire quelque chose de leur célébrité. Par contre, il y a des gens qui ne sont pas célèbres et à qui on peut rendre hommage et qui sont d’autant plus admirables.
LD : Pourquoi une telle histoire pour un premier roman ?
BM : C’est la question qu’on me pose à chaque fois. C’est vrai qu’à vingt ans, écrire sur un sujet aussi difficile n’est pas commun. On me dit souvent qu’à vingt ans, j’aurais pu écrire sur quelque chose de plus gai. Mais j’ai envie de dire, pourquoi pas ce sujet ?
J’ai travaillé pendant un an et demi comme correspondant pour un journal. Et puis, j’ai fait beaucoup de rencontres au fil des voyages et j’ai eu des discussions avec des gens qui ont eu des moments aussi difficiles que Jean a vécu dans le livre. Je n’avais pas envie d’écrire à tout prix sur un sujet difficile et complexe. Ce qui me frappe, quand on voit à la télé, dans des reportages sur des gamins qui se sont fait violer, c’est comment on arrive à s’en sortir. Il y a quelque chose que je ne comprend pas —et ce n’est absolument pas un jugement— c’est le suicide. Comment peut-on abandonner à ce point là ? Est-ce qu’on peut désespérer au point qu’on n’a plus envie de se battre ? J’ai voulu tout simplement avec un humble stylo —ce n’est pas mon combat— mais j’ai voulu montrer à travers Jean qu’il est possible de s’en sortir et qu’on a tous les ressources et qu’il suffit d’aller les chercher. 

LD : Qu’est qui t’a motivé à écrire ce roman ?
BM : J’avais commencé l’autre roman avant celui-là. Et j’ai continué celui-là avant. Comme je le disais tout à l’heure, écrire est un besoin. Là, cela devenait viscéral, il fallait que j’écrive sur ce sujet. J’en avais besoin. De toutes façons l’exercice d’écriture est un peu schizophrénique. Qui qu’on soit, à partir du moment ou l’on écrit, on se met dans la peau du personnage, et puis on vit les choses avec lui tout au long du roman.
Ce qui m’a motivé à écrire, c’était l’urgence. C’était un sujet qui pouvait parler à la jeunesse. On est parfois un peu perdu. On se trompe parfois de combat. On se bat pour des choses parfois futiles alors qu’il y a de vrais combats à mener. Il y a aussi dans la motivation, l’environnement dans lequel on évolue. L’environnement dans lequel j’ai peu évolué, c’est parfois des gens qui ne s’assument pas, qui refusent de se regarder en face. Et cela m’insupporte. Je ne suis pas parfait, mais je pense qu’il faut se regarder en face même face au plus horrible et s’assumer, parce que c’est ce qui nous fait grandir.
La motivation, c’était l’urgence, vraiment, le besoin. 

LD : Raconte un peu la publication de ton premier roman. Comment cela s’est passé ?
BM : Ça a été complexe. En France, c’est très difficile d’éditer un roman. Donc je l’ai envoyé, il y a un an. C’était début décembre. J’ai eu des retours, d’abord négatif. Ça m’a un peu découragé. Les maisons d’édition sont parfois violentes dans leurs mots quand elles refusent un bouquin. Et puis, finalement, au mois de mai, j’ai eu la proposition de Mon Petit Éditeur. Il était particulièrement agréable. Et, point à souligner, fait commun dans l’édition de romans aujourd’hui et d’autant plus d’un premier roman, c’est que l’éditeur nous donne des consignes.
Ce n’était absolument pas de la prétention de ma part, mais je voulais avoir de la liberté. Je refusais de sortir un roman qui ne serait pas le mien. Si on choisissait le destin de mon personnage à ma place, je ne le supporterais pas. Ce qui m’a fait dire oui à cet éditeur, c’est qu’il m’a laissé deux mois supplémentaires et il m’a laissé de la liberté tout en contrôlant pour que cela rentre dans leur ligne éditoriale. Ce que je trouve génial dans le cadre d’un premier roman, c’est qu’on puisse laisser un jeune s’exprimer et surtout parier sur celui-ci. Pour moi, c’est une vraie édition. L’éditeur prend tout en charge. Une édition, cela coûte de l’argent et puis je trouve que c’est un vrai pari. Il ne fallait pas faire la fine bouche. J’ai signé, et puis on verra comment ça se passera par la suite. 

LD : Qu’as-tu ressenti quand tu as su que ton roman allait être publié ?
BM : Bizarrement, certains pensent que j’ai été super heureux. Moi, j’ai été triste. En effet, c’est bizarre parce que je l’ai cherché ; si j’ai envoyé mon roman, c’est que je voulais qu’il soit édité. Le roman ne m’appartenait plus. Il allait entrer dans les mains d’autres personnes et commencer sa vie de roman normal. Les pages allaient jaunir chez d’autres personnes, évidemment. C’est très beau de le voir vivre à travers les gens, mais quand on sait qu’il ne vit que pour nous parce qu’on l’a fait, qu’on l’a relu, c’est dur de le voir partir.
Le publier, c’est le montrer aux autres. C’est se soumettre à la critique. Certains vont aimer, d’autres vont dire que c’est mal écrit, d’autres que c’est très bien. En tout cas, c’est un peu se mettre à poil. C’est là où ça m’a fait mal et peur. Mais c’est une belle expérience. Et de toutes les façons ça fait partir du jeu. Il faut accepter ce que les gens vont en dire. 

LD : Quels sont tes plans pour ton prochain roman ? Sur quel sujet, travailles-tu ?
BM : Le second roman sera encore une fois un roman sur le secret. Le secret, c’est quelque chose qui me fascine. On va suivre un personnage un peu différent. C’est encore un récit à la première personne avec un personnage masculin. Par contre, ce sera sur le secret de famille et sur la saloperie. Le titre provisoire c’est : J’ai été une salope mais j’avais des raisons.
C’est un jeune qui découvre un carnet chez sa grand-mère qui est en phase terminale d’un cancer et est à l’hôpital. Il découvre le carnet ; à l’intérieur sont consignées toutes les saloperies qu’elle a pu faire durant sa vie. Il va donc apprendre plein de choses sur sa famille, plein de raisons qui expliquent son état actuel. Il y a beaucoup de non-dits.
Il va aller voir sa grand-mère et va la confronter. Ça démarre par un huis clos dans la chambre d’hôpital. L’enfer de l’un c’est l’autre, parce qu’ils vont se renvoyer toute la vérité à la figure. Et, au fur et à mesure du roman, il va constater que les salopes, comme les héros, ça peut être tout le monde à certains moments de leur vie. 

LD : Donc ça va être un roman plus basé sur le dialogue ? Parce qu’il est intéressant de noter qu’il y a très peu de dialogue dans Salutations non distinguées…
BM : Il y a un dialogue entre Jean et sa mère et c’est le plus important. Pour le reste, il n’y a pas de dialogue. C’est un choix de ma part. Effectivement, il y a énormément de dialogues dans le deuxième bouquin. Le premier est un livre qui se lit vite et qui n’est pas long : 84 pages. Je voulais que ce soit écrit comme on vomit. C’est une lettre qui annonce quelque chose qu’il ne peut plus supporter, avec laquelle il ne peut plus vivre. J’ai voulu donner la sensation que la lettre a été écrite dans l’urgence, dans le besoin d’annoncer. Et je pense que dans les situations comme ça, il n’y a pas à avoir de dialogue. Parce que finalement, les dialogues, on peut se les faire nous-même quand on lit la lettre. On imagine ce que le personnage principal nous raconte, mais sur le thème du viol, c’est le parcours de la victime vers la vie qui est important. Je trouvais que les dialogues étaient un peu superflus, car ils ne transmettaient pas les émotions.


Articles en lien