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La musique culturelle du moderne

Maânouche Swing Trio investit le Dièse Onze. 

Chaque semaine au Dièse Onze, un resto-bar de jazz caché un peu en dessous du trottoir, on peut voir le groupe musical Maânouche Swing Trio. L’atmosphère au Dièse Onze à six heures du soir est calme, mais on voit tout de suite que presque toutes les tables sont réservées : indication qu’il se remplira bientôt de monde. Si vous n’êtes jamais allé au Dièse Onze, il faut s’y rendre pour souper ou pour un verre à la fin de semaine. La fusion d’une atmosphère détendue mais intime le rend parfait pour un rendez-vous romantique ou une rencontre avec des amis pour une soirée divertissante. 

Le trio commence son premier set nonchalamment et sans s’annoncer, les deux guitaristes assis et le bassiste debout. Chaque musicien glisse les doigts rapidement et avec agilité en montant et descendant les gammes, et parfois surprend avec des accords puissants ; ils font preuve d’un talent exceptionnel pour la guitare. Leur musique consiste pour la majeure partie des solos improvisés. Quand j’ai demandé au fondateur du groupe Lou Boustani comment ils s’exercent à l’improvisation pour les spectacles, il a dit qu’en fait les spectacles sont en eux-mêmes une façon de s’exercer. Pour lui, comme le peintre doit regarder sa peinture, le musicien doit écouter sa musique ; et leur synchronisation impeccable dérive certainement de leur capacité à s’écouter les uns les autres. Ils jouent avec précision, sentiment, et énergie — ce que le bassiste montre avec ses expressions émotives et parfois des petits cris de joie — et il devient clair que les membres du groupe connaissent vraiment leur musique ainsi que les musiciens. Cependant, Lou insiste pour qu’on ne s’y trompe pas : le jazz manouche est spécial, car il faut le jouer avec le cœur.

La musique varie d’un rythme élevé à des ballades lentes et romantiques, avec un son qui évoque la guitare espagnole. Mais ce n’est pas espagnol ; c’est la manouche, mélangée avec le jazz et d’autres influences, y compris la tradition classique. Ces influences diverses font de l’expérience un jeu, pour ceux qui ne connaissent pas bien le jazz, sans parler des sous-genres de jazz : celui de classer exactement ce qu’on entend. Ce mouvement musical fut fondé en France par le musicien sinti Django Reinhardt, dans les années 1930. Il avait commencé sa carrière musicale comme guitariste, violoniste et banjoïste de manouche classique, mais, après un voyage aux États-Unis où il avait découvert le mouvement de jazz et joué avec Duke Ellington, les deux traditions devinrent pour toujours fusionnées. Reinhardt a donné à la tradition jazz les solos de guitare improvisés et mélodiques, alors que l’instrument était auparavant plutôt chargé de solos d’accords. Le jazz manouche est le seul mouvement de jazz qui ne vient pas des États-Unis. Maânouche Swing Trio a été fondé à Montréal par Lou Boustani il y a dix ans. Le groupe est constitué de Lou et Damien Levasseur aux guitares acoustiques dont une rythmique et l’autre soliste, et Simon Pagé à la guitare basse, qui joue aussi les solos. Ils jouent chaque semaine au Dièse Onze depuis plus de cinq ans.

Leur évolution en tant que groupe important dans le monde du jazz au Québec illustre la philosophie de la tradition de Reinhardt. Dans ma conversation avec Lou, je lui ai demandé avec curiosité comment ils parviennent à créer des compositions si originales, tout en restant proche de la tradition manouche. Il m’a dit qu’ils suivent les thèmes et les standards du mouvement, mais que l’improvisation est également importante pour créer un jazz manouche authentique. Comme le mouvement est né de la rencontre d’un style traditionnel avec un style populaire, la vraie création du jazz manouche se passe au moment où le classique cède le passage au nouveau. 

Les musiciens du Maâouche Swing Trio sont tous professeurs à l’École Jazz Manouche de Montréal, ou EJMM, également fondée par Lou Boustani ; c’est la première institution d’enseignement de jazz manouche en Amérique du Nord. Située dans le Plateau, l’école à but non lucratif forme une soixantaine d’élèves, qui apprennent une approche musicale communicative. C’est de cette façon que les membres du trio perpétuent une tradition musicale qui, comme toutes les traditions culturelles, évolue avec chaque génération. C’est ce processus qui rend le jazz manouche important dans le monde de la musique aujourd’hui, et ce processus-même compose l’essence de la modernité. 


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