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Kaguyahime

Sons discordants et grincements de dents

Les Grands Ballets Canadiens de Montréal présentent jusqu’au 27 octobre un ballet qui sort des normes au point où, souvent, le spectateur en espère la fin.

Le ballet s’ouvre avec la projection d’une lune blanche sur un rideau noir, et avec une musique angoissante semblable à celle d’un psalterion (il s’agit en fait d’une flûte de bambou nommée ryuteki). La musique est obsédante, dérangeante. Et elle dure, s’éternise… Déjà, on se crispe sur son siège et on attend avec angoisse la Princesse de la lune, qui nous sortira peut-être de ce mauvais pas.

Cette fameuse quasi-divinité, on l’a dépoussiérée d’une vieille légende chinoise probablement écrite entre le 9e et 10e siècle. La Princesse de la lune, une beauté irrésistible, serait descendue de la lune pour insuffler paix et amour au monde des mortels. Malheureusement, son charme n’inspire que la convoitise des hommes qui la voient. S’ensuit alors une série de guerres qu’elle ne peut tolérer : elle se résigne à quitter la Terre et retourne sur la Lune.
Dans la chorégraphie du Tchèque Jiri Kylian, c’est pourtant surtout la musique de Maki Ishiila qui ressort et perturbe, au point où on en oublie l’histoire pour essayer uniquement de calmer les battements de son cœur.

L’atmosphère créée par la musique est incroyable. Elle met l’assistance dans une sorte de transe. Mais cela dure trop longtemps. Il est possible d’aimer le goût d’un aliment très acide, mais jusqu’à un certain point : en trop grande quantité, on finit par ne plus le tolérer. Il en va de même avec la musique de Kaguyahime. Que ce soit à cause des flûtes au son lancinant ou à cause des tambours qui martèlent le rythme, chaque scène est, au bout d’un moment, gâchée par une présence sonore trop importante. On n’en peut plus, on veut s’en aller.

Il y a tout de même de bons passages. Par exemple, lorsque la Princesse arrive en solo, incarnant un être gracile habillé de blanc, et qu’elle exécute une suite de mouvements entre le battement d’aile d’oiseau et les arts martiaux. Ou encore lors de la bataille finale, où l’utilisation d’ombres chinoises, d’effets lumineux et de stroboscopes accompagnant la gestuelle martiale d’une douzaine de danseurs frappe l’imaginaire. Enfin, la danse en couple des villageois du village est l’un des moments forts du ballet. Dans cette scène, on sort de la musique obsédante pour faire place à une joyeuse débandade d’où ressort totalement de la culture asiatique et où l’on s’amuse.

Et puis, la guerre arrive. Des hommes habillés de blanc contre des hommes habillés de noir sont accompagnés de roulements de tambour qui s’éternisent et augmentent la tension. La bataille fait rage et les oreilles bourdonnent.

Toute cette théâtralité et cette musique, parfois manquées, parfois adéquates, mènent toutefois à une scène absolument extraordinaire. Le départ de Kaguyahime vers sa Lune natale. Un immense drapé doré scintillant se déroule et prend toute la place sur la scène. On ne voit que cette immense lune de tissu qui cherche à attirer la Princesse vers ses tréfonds. Un homme vient chercher Kaguyahime et l’enveloppe de cette lune irrésistible et lumineuse. L’effet est parfait, on se sent comme ces petits papillons de nuit qui ne peuvent s’empêcher de se brûler les ailes sur une lumière dans la nuit. Si le ballet s’était fini à cet instant, il y aurait peut-être eu une raison de se lever pour applaudir.

Malheureusement, le ballet ne se termine pas ainsi. S’ensuit une succession de scènes multipliant les jeux de miroir, des caisses tournoient sans but entre des danseurs qui ne réussissent plus à capter l’attention du spectateur, et la soliste se perd dans les habituels roulements de tambour.

Finalement, Kaguyahime aurait dû rester sur la Lune, ou, du moins, ne pas demander à son orchestre de l’accompagner. L’effet obsédant de la musique était très certainement voulu, mais on ne va pas au ballet pour suer à grosses gouttes. Ce ballet hors du commun aurait vraiment mérité mieux.


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