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Lucky Dragons

Les deux côtés de l’expérience, en marge du festival

Rue Saint-Pierre : étroite et cachée, car elle dévie un peu du bruit de Notre-Dame Ouest, comme les centaines de petites rues du Vieux-Montréal, qu’on suit sans en trouver la fin, et qui semblent nous transporter un temps en arrière. Je pouvais entendre les sabots d’un cheval dans la distance. Je me suis bientôt trouvée au numéro 407, mais je l’ai presque dépassé. Je suis entrée dans le foyer ; chic et minimaliste, fait de matériaux modernes comme l’inox, le verre et le béton. Plus une salle qu’un théâtre, les lumières étaient baissées, et les tables rondes et hautes donnaient l’air d’un café où on écoute de la poésie. J’ai commandé une bière et attendu le spectacle. 

La salle s’est remplie très vite. Les gens plus âgés ont occupé les tables, et les hipsters ont occupé le sol, mais on était tous là pour voir Lucky Dragons à Art POP de POP Montréal, un groupe de musique expérimentale basé à Los Angeles, connu pour combiner la musique et l’art visuel, et pour donner des concerts interactifs. Après une présentation très courte, les membres de Lucky Dragons sont montés à l’étage, et l’expérience a commencé. 

Penchés face-à-face sur un système fait d’une boite de bois, deux ordinateurs, et un projecteur, étaient mari et femme. Ils étaient tous les deux grands et minces, aux cheveux très courts et portant des jeans et t‑shirts. Ils se ressemblaient, comme l’image et le reflet. Sur l’écran derrière la mezzanine sont apparues des lignes noires et blanches ; les lignes faisaient des mouvements pendant qu’un son grave et sourd faisait lentement un crescendo, et Luke Fischbeck a levé le micro et commencé à chanter. Les mots étaient difficiles à comprendre, car ils battaient avec la basse. La musique a fait encore un crescendo, jusqu’à être presque insupportable, et la voix de Sarah Rara a fait son entrée. 

Elle s’est tournée face à l’audience, mais est restée assise. Il était évident qu’à ce concert, on ne devait pas se concentrer sur les gens à l’étage. Ils avaient placé des CD devant le projecteur, formant un arc-en-ciel sur les murs. Ils ont invité le public à participer, et distribué les CD à tout le monde. Les formes sur l’écran changeaient rapidement tandis que le rythme s’accélérait ; le dessin de lignes s’est transformé en diamants, et puis en carrés. J’étais transportée de la réalité à une expérience psychédélique. Le chevauchement des sons, le mouvement constant des images, les arcs-en-ciel, et la réverbération du son, tous ensemble étaient accablants aux sens. À la fin, la musique s’est arrêtée, les images sur l’écran se sont évanouies, et les lumières se sont allumées. J’avais oublié où j’étais.

J’ai approché Sarah pour lui demander quel aspect de son art elle aime le plus. Elle m’a dit qu’elle aimait l’interactivité des concerts, parce qu’il n’y a plus de tension entre les artistes et les spectateurs. J’ai demandé pourquoi Lucky Dragons voulait créer cette expérience pour leur public, et quelle philosophie soutient leur art. Elle m’a dit que les images noires et blanches sont créées par deux transparents rayés qui se chevauchent, et qui créent les ondes acoustiques, alors ce qu’on voit sur l’écran est une image de ce qu’on entend. Quand les transparents font un dessin de diamants, ils reflètent des ondes acoustiques triangulaires. Elle a ajouté que le visuel rend l’expérience auditive plus simple parce que les sons sont complexes, et le visuel donne quelque chose sur quoi on peut se concentrer. Regarder et écouter, elle a dit, sont des façons de participer à l’expérience.

Si je participais à l’expérience, je ne m’en souviens pas. J’étais trop captivée par ce qui se passait autour de moi. Mais l’art est comme ça. C’est quelque chose qui semble fixe, mais qui vit, et les gens ont besoin de la stimulation pour avoir un effet. Comme Sarah me l’a dit, « on fait l’art ensemble ».


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