« Enhardi et devenu momentanément féroce comme ce qu’il lit, trouve, sans se désorienter, son chemin abrupt et sauvage, à travers les marécages désolés de ces pages sombres et pleines de poison ; car, à moins qu’il n’apporte dans sa lecture une logique rigoureuse et une tension d’esprit égale au moins à sa défiance, les émanations mortelles de ce livre imbiberont son âme comme l’eau le sucre. » (Les Chants de Maldoror, Lautréamont)

C’est avec cet avertissement que les Éditions Futuropolis ont choisi d’introduire, sur la quatrième de couverture, le récit La Chambre de Lautréamont. La couverture prétend que ce roman graphique serait le premier à avoir existé, publié pour la première fois en 1874. La préface et la post-face annoncent quant à elles que cet album d’Édith (dessins) et Corcal (récit) cherchera à brouiller les frontières entre réalité et fiction dans le Paris des poètes du XIXe. Le mystère semble complet alors que l’on appréhende un peu, à première vue, la mise en scène, de surcroît en bande dessinée, de personnages historiques connus. Mais quelle agréable surprise de découvrir, dès les premières pages de cet incroyable récit, qu’Édith et Corcal ont habilement su déjouer tous les clichés et stéréotypes appréhendés pour nous offrir un petit chef d’oeuvre.
Adapté de l’œuvre des personnages d’Auguste Bretagne et Eugène de Turcoing-Startrec, cet album met en scène Auguste Bretagne, feuilletoniste à la « Gazette de Paris », un personnage au manque d’ambition littéraire flagrant qui côtoie les cercles littéraires parisiens les plus intéressants. Ce bonhomme un peu banal qui écrit des récits fantastiques dans sa mansarde fait triste figure au milieu des écrivains et poètes qu’il fréquente : Rimbaud, Verlaine, les frères Cros… Ceux-ci, joyeux farceurs, lui envoient chaque lundi des têtes d’humains en cire, dans de « charmants » colis anonymes, afin de se moquer de son échec littéraire et de sa fascination pour des objets plus ou moins morbides. Car Auguste est passionné par l’étrange et vit dans une espèce de capharnaüm de hiboux empaillés, squelettes divers et autres corps conservés dans du formol. Plus qu’une simple chambre étrangement habitée, ce lieu est en fait extraordinaire. Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, y a vécu avant d’y mourir à l’âge de 24 ans. Il y a laissé quelques traces, cachées çà et là. Auguste va découvrir ces dernières en compagnie notamment d’Émily, une jolie poétesse dont il est amoureux.

Littéraires et curieux que vous êtes, vous savez bien qu’il est de ces livres qui donnent l’impression qu’on avait peut-être finalement rien lu de vraiment bien avant. Que peut-être on s’était laissé trop emballer par des récits moyens, des dessins brouillons, du déjà-lu.