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Norman Cornett : Lettres ouvertes

Le Délit publie quelques lettres ouvertes réagissant au documentaire consacré à Norman Cornett.

J’ai fait carrière dans les universités pendant trente-sept ans, dont trente-et-un à l’Université de Montréal. J’ai toujours considéré l’université comme un espace extraordinaire de liberté de pensée et de création intellectuelle, mais je dois dire qu’un article récent, paru dans une revue de l’UQAM, au sujet de professeurs apparemment limogés ou marginalisés pour des raisons idéologiques ou pour des approches pédagogiques peu conformistes, fait apparaître un autre visage de l’institution universitaire et de sa difficulté à tolérer la dissidence. Le cas du professeur Norman Cornett me paraît emblématique, parce que c’est celui que je connais le mieux. J’ai vu le documentaire de madame Alanis Obomsawin, Professor Norman Cornett (2009) à son sujet et j’ai aussi participé, en tant qu’écrivain et intellectuel, à des séminaires qu’organise le professeur Cornett depuis son congédiement de l’Université McGill. Sa curiosité intellectuelle, son approche créatrice, très stimulante, des enjeux touchant la littérature, les arts, les questions scientifiques et sociales, me paraissent exemplaires. Ses anciens étudiants se bousculent pour témoigner de la très haute qualité de sa pédagogie et du profit intellectuel qu’ils en ont tiré. La question n’en est que plus évidente : pourquoi l’Université n’a‑t-elle pu conserver en son sein un professeur aussi original, dynamique et aimé de ses étudiants ? Le silence de l’Université McGill, déjà souligné dans le film de madame Obomsawin, ne fait qu’entretenir à ce sujet les soupçons. Le milieu universitaire n’est jamais à l’abri, quoi qu’on pense, des orthodoxies et autres formes de conformisme. Heureusement, dans de nombreux cas, la protection syndicale permet de contrecarrer les tentations d’intolérance. Il reste que l’arme syndicale ne saurait suffire : tous les individus et toutes les instances de l’université, à partir des départements eux-mêmes, sont interpelés par une telle question et doivent faire preuve de vigilance. Lieu d’invention et de libre pensée, l’université ne saurait devenir un lieu de répression des pensées minoritaires ou atypiques sans se dénaturer.

Pierre Nepveu, écrivain, professeur émérite, Université de Montréal.


J’ai lu avec grand intérêt l’article que Le Délit vient de consacrer à ce qu’il faut désormais appeler l’affaire Cornett.
Celle-ci est d’abord, humainement, et on ne le dira jamais assez, révoltante et d’une infinie tristesse.

Mais cette affaire, qui me consterne, suscite aussi en moi de très vives inquiétudes relativement à la liberté académique et à la transformation qu’elle laisse pressentir de l’institution universitaire.

Ces inquiétudes concernent notamment l’ignorance ou le déni de la tradition que cette affaire rend manifeste, l’oubli de ce que signifie enseigner à l’université que celle-ci fait soupçonner et finalement l’opacité des décisions rendues.

La tradition. Le travail pédagogique du professeur Cornett s’inscrit dans une longue et noble tradition en éducation, qui commence avec Socrate et qui se prolonge jusqu’à nos jours, avec notamment Paulo Freire. Que cela soit fait par ignorance ou par mépris de la liberté académique, le fait qu’une université ne puisse, même en n’étant pas d’accord avec lui, faire une place à un travail s’inscrivant dans cette tradition fait plus que surprendre : cela déçoit, consterne et sidère.

L’enseignement. Ce qui caractérise l’enseignement universitaire, qu’il s’agisse d’un enseignement à vocation essentiellement professionnelle (le droit, la comptabilité, la médecine) ou essentiellement théorétique (les études littéraires, la sociologie, la philosophie, la physique), c’est son ambition de faire pénétrer chacun des étudiants dans une tradition intellectuelle qui institue une relation critique avec cette activité professionnelle ou cet effort de théorisation, de manière à faire de celui-ci un participant à ce qui, en bout de piste, n’est rien de moins que la grande conversation critique que l’humanité entretient avec elle-même.

Comment nier que c’est ce que fait le professeur Cornett ? Et comment peut-on, dès lors, prendre à son endroit les mesures qu’on a prises ?

L’opacité. Cela nous conduit à la désolante opacité entretenue par l’université dans toute cette affaire. Celle-ci est inadmissible, intolérable et exige de la communauté universitaire québécoise tout entière qu’elle la dénonce sans ambages en réclamant que lumière soit faite.

Il est, me semble-t-il, hautement plausible de penser que les décisions qui ont été rendues ne survivraient pas bien longtemps à l’exposition à cette lumière, qui est celle de la vie de l’esprit, ici menacée.

Normand Baillargeon, professeur en sciences de l’éducation, UQAM


De la dignité humaine

Profondément indigné par le mutisme obstiné de l’administration de l’Université McGill en ce qui a trait aux raisons qui auraient pu justifier le licenciement du professeur Norman Cornett, je questionne, au nom des droits de l’homme et de la justice sociale, l’authenticité et l’intégrité des principes qui président à la mission de cet établissement universitaire.

La mission de toute université n’est-elle pas de favoriser l’évolution grâce à l’acquisition et à l’intégration d’un savoir-être et d’un savoir-faire ? Or évoluer, c’est coévoluer. Coévoluer, c’est créer. La créativité est le moteur de l’histoire. Coévoluer, c’est dialoguer. Quand l’étudiant et l’enseignant s’inspirent l’un de l’autre, alors les deux s’épanouissent ensemble. N’est-ce pas là le but de l’éducation ? N’est-ce pas là l’approche pédagogique du professeur Cornett ?

Grâce à l’éducation, l’espèce humaine évolue vers un mieux-être et un mieux- faire. Mais dans une société où le savoir-faire menant au savoir-avoir précède le savoir-être, et où l’utile précède l’agréable, l’humanisme, fondé sur le respect des libertés, sera toujours menacé.

L’université aurait-elle troqué le processus pour le procédé, l’inné pour l’acquis, l’imagination créatrice pour la logique et la rationalité, l’autorité pour la liberté ? Il ne s’agit pas ici de diviser mais d’unifier tous ces paramètres de la connaissance. L’étudiant apprend à apprendre dans le but de mieux comprendre le monde dans lequel il vit. L’enseignant ne doit-il pas donner à ses étudiants l’opportunité de développer, dans un climat agréable où règne la confiance, une réflexion autonome sur les reflets de ce monde ? Et pour ce faire, l’art de la communication authentique, du dialogue ouvert, qui répond au pourquoi des choses n’est-il pas aussi nécessaire que les technologies de l’information qui ne se préoccupent que du où, du quand, du combien et du comment des choses ?

Le manque de respect de l’Université McGill à l’endroit du professeur Norman Cornett ne remet-il pas en cause le fondement de la dignité humaine ?

Raôul Duguay
Artiste et philosophe


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