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Un biodôme humain

L’envers du masque montréalais au Nouveau Théâtre Expérimental.

Webmestre, Le Délit | Le Délit

Zoo 2011 est en premier lieu une expérience de solitude collective pour le spectateur : on est invité à commencer l’exposition en groupe mais on est accueilli dans un grand espace dénué de décor et plongé dans une obscurité silencieuse. D’entrée de jeu, le groupe s’éparpille et se dirige vers les points de lumière qui dévoilent les participants de ce zoo humain. Le spectateur y découvre des scènes tant banales que surprenantes : on observe, par exemple, une femme rapiécer des vêtements avec une machine à coudre et un homme qui fait constamment les cent pas en parlant incessamment au téléphone. On voit aussi un vieillard qui prépare des doses de crack en faisant cuire du bicarbonate de soude sur une cuisinière, ou encore une femme haltérophile en plein exercice.

Crédit photo : Michel Ostaszewski

Si Zoo 2011 est donc un projet pour le moins atypique, c’est avant tout un hommage au spectacle original Zoo de 1977. En effet, 34 ans plus tôt, le Théâtre Expérimental de Montréal (l’ancêtre du  Nouveau Théâtre Expérimental) lançait une expérience sociale mais aussi comique : le but était de surprendre les visiteurs en mêlant scènes absurdes, comme la « femme-accident », et des animaux. Cette fois-ci, la mise en scène est différente car l’atmosphère est décidemment plus pesante, les participants sont concentrés sur leurs tâches et ignorent les visiteurs. Le silence du début laisse très rapidement place aux bruits sourds de moteurs d’avions et de grondements de tonnerres. Zoo 2011 ne cherche plus à divertir son public, mais à l’amener dans l’intimité de Montréal, pour observer ce que l’on y voit rarement.

Car, tel un voyeur, le spectateur déambule dans l’obscurité et observe ces « tableaux vivants » où des êtres anonymes répètent inlassablement les mêmes gestes. On peut parler de « tableaux vivants » parce que ces scènes ne sont pas des spectacles, les participants ne sont pas des acteurs et il y a très peu d’évolution. La répétition des gestes donne l’impression d’un voyage au cœur du quotidien caché d’un Montréal marginal. Face à un miroir, un travesti se prépare sans relâche en retouchant son maquillage et réarrangeant ses perruques : on regarde le moment précis mais transitoire d’une transformation qui se répète sans fin.

Crédit photo : Michel Ostaszewski

Mais il faut se demander si le spectateur ne devient pas lui aussi participant involontaire dans cette expérience : les réactions révèlent la véritable nature intime de ces scènes. Au début, on perçoit une certaine gène ou curiosité dans l’assemblée et progressivement, après plusieurs tours de salle, certaines scènes font sourire, ou même rire, tel que le « serial téléphoneur ». À l’inverse la scène de l’infirmière s’occupant d’un handicapé provoque un malaise face à la vieillesse et la maladie. Certaines déclenchent même une curiosité malsaine, particulièrement lorsqu’on se retrouve face à un artiste tatoueur en plein travail de scarification sur une jeune femme. Passé les premières réactions, les visiteurs interrogent plusieurs des participant, mais on remarque qu’ils restent silencieux devant les scènes les plus marginales ou les plus personnelles : malgré la proximité physique, la distance sociale persiste et se fait sentir.

Crédit photo : Michel Ostaszewski

Zoo 2011 porte bien son nom car il s’agit bel et bien d’un zoo humain, et non pas d’un cirque : le but n’est pas de divertir mais d’exposer. On y voit des scènes banales et on y découvre des pratiques peu connues. On se promène selon son envie mais dans ce projet il n’y a pas de cage, mis à part la distance qu’on instaure nous-mêmes. Zoo 2011, une expérience sociale qui surprend, dérange et ne manque pas de provoquer une interrogation sur notre ville et notre regard.


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