Aller au contenu

Ç’t’à ton tour, Albertine !

Albertine in Five Times, une version déguisée mais touchante présentée au Tuesday Night Café.

Crédit photo: Eric Chad

Albertine en 5 temps, pièce centrale de l’œuvre de Michel Tremblay, est considérée comme l’un des chefs‑d’œuvre de l’auteur. Albertine, quant à elle, est peut-être le personnage canadien le plus joué sur les scènes du pays. L’équipe du Tuesday Night Café, une compagnie de théâtre dirigée par des étudiants en partenariat avec le département d’études anglaises de McGill, a décidé de s’attaquer à ce classique de la littérature québécoise. Une entreprise audacieuse étant donnée la renommée de la pièce et le fait qu’elle sera jouée dans la langue de Shakespeare, sur un campus anglophone au cœur de la Belle Province.

Crédit photo : Eric Chad

Le verdict ? Même si le rythme tombe parfois  à plat, l’ensemble de la performance est quasi-impeccable. Le tout rendant bien l’essence d’un texte fort et d’une traduction fidèle.

Si cette version traduite fonctionne bien, c’est grâce à la qualité de son texte. Albertine se retrouve à 70 ans en maison de retraite. Seule pour sa première nuit dans ce nouvel univers, elle y fait l’état de sa vie en compagnie de ses fantômes. Les Albertine de ses 30, 40, 50 et 60 ans, ainsi que sa sœur Madeleine, son éternelle confidente, se rencontrent. Certaines sont optimistes, d’autres désillusionnées, pour faire le point sur les différentes étapes de leur existence. La pièce constitue une critique sociale du rôle de la femme dans la société québécoise des années 30 et 40. C’est un cri du cœur venant d’une femme dépossédée de sa destinée qu’elle voit plutôt régie par les normes d’une société elle-même plongée dans la Grande noirceur.

Dès l’entrée en salle, on voit que la pièce sera jouée dans les règles de l’art : le décor est typiquement « tremblayen » et La Bastringue, jouée en boucle, fait office de trame sonore. Le casting est mené avec brio et chacune des comédiennes représente bien physiquement  Albertine dans toutes les étapes de sa vie. La mise en scène, de Zoe Erwin-Longstaff est simple, épurée, et laisse toute la place au texte. On y retrouve aussi, à dose calculée (preuve du bon goût et de la maîtrise du genre de madame Erwin-Longstaff) les monologues féminins et l’utilisation du chœur, pratiques propres à Michel Tremblay.

Au début de sa carrière, Michel Tremblay faisait preuve de réticence à voir ses pièces traduites et interprétées en anglais. Cette peur est compréhensible ; la plupart des œuvres de l’auteur dépeignent la réalité du quartier populaire francophone du Plateau Mont-Royal. Ce que le TNC Theatre illustre avec habileté grâce à sa production de Albertine in 5 Times, c’est que Michel Tremblay est tout aussi crédible, poignant et pertinent, même si ses pièces ne sont pas en « joual ».


Articles en lien