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La grève a encore frappé

Le mot du jour nous est inspiré d’une entrevue avec Jacques Florent, responsable éditorial chez Larousse, parue dans le quotidien genevois Le Temps. 

Dans celle-ci il use d’un néologisme intéressant : le « francophonisme ». Le « francophonisme », selon lui, c’est l’usage d’un régionalisme, qui peut être un néologisme, hors de son bassin d’origine et jusqu’à l’aire de la francophonie toute entière.

À la lecture de cette entrevue et à la lumière des récents événements sur le campus de notre chère université j’ai tout de suite pensé au mot « grève », évidemment. La grève, en parler francilien, ou plutôt parisien, c’est avant tout, jusqu’en 1830, la place de Grève, aujourd’hui place de l’Hôtel-de-ville sur les quais de la Seine. La place tire son nom des grèves, ou bancs de sable, qui bordent le fleuve.

Le sens que nous lui connaissons a bien dérivé. La grève c’est la cessation d’activité institutionnalisée au sein d’une entreprise en réponse à un désaccord entre le corps syndical et le patronat. Le glissement de sens est effectué quand on pense à la fonction qu’occupait la place parisienne : place des exécutions. D’où l’attroupement chaque semaine, au jour où l’on décapitait (ou écartelait, selon le cas) un malheureux condamné. La troupe que l’on peut voir aux différents portails qui mènent au campus depuis le début du mois n’est pas là pour le spectacle, mais nous en donnent un bien beau.

Le contexte indéniablement bilingue de la lutte syndicale à McGill nous invite maintenant à penser au mot strike. Comme le verbe duquel il vient, le nom est comme un coup, une frappe faite à l’encontre des détenteurs du pouvoir. Le mot strike n’est pas sans rappeler les frappes militaires dont on nous assène jour après jour dans les journaux du monde entier, preuve que, contrairement à bien d’autres, les services de presse des états-majors sont bien plus aptes que l’Académie française ou que l’Office québécois de la langue française à faire passer des formulations qu’ils ont choisies dans le langage courant.

Pour en revenir à nos moutons, troupeau qui, en ligne bien rangée, délimite les lignes de piquetage autour des accès principaux au campus, que ceux-ci scandent des slogans en français ou en anglais, tous ont ces mots de « grève » et de strike à l’esprit. Inutile de rappeler la politique (inavouée) de l’Université McGill concernant la langue française sur ses terres ; être on strike, c’est risquer de ne pas être écouté, être en grève, c’est risquer de ne pas être entendu.

Il est intéressant de constater cet écart sémantique entre l’expression française et anglaise : la première fait des grévistes des spectateurs passifs, avinés, attroupés sur la place publique, vociférant des slogans mal compris ou tout simplement ignorés, la seconde fait des strikers des acteurs à part entière d’une entreprise organisée, institutionnalisée, d’une frappe stratégique au cœur d’un processus au mécanisme huilé. C’est bien connu, les français ne savent que gueuler.


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