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Avril est le mois le plus cruel

La danse contemporaine recèle de ces joyaux si aboutis, si entiers, qu’il nous viendrait l’envie de ne plus vouloir parler que ce langage-ci.

Shin Koseki

Certains des spectateurs ne la découvrent qu’à peine, d’autres suivent religieusement son parcours depuis 20 ans. Jocelyne Montpetit développe et maîtrise l’art du solo, l’art de n’occuper la scène que par la seule présence de la lumière qui irradie de son corps. Son vocabulaire de mouvements s’inspire du butô, une danse née dans un Japon ressortit meurtri de la Seconde Guerre Mondiale. Le geste s’affranchit d’enjolivement. La scène est nue, occupée par quelques accessoires d’une pureté cristalline : un bloc de glace dressé comme un obélisque, un amoncellement de coupes sous un lit de fer, un miroir au sol.

Shin Koseki
Jocelyne Montpetit fait son entrée, comme enveloppée d’un nimbe de fragile harmonie. Son corps semble contenir tout un abysse d’émotions, qui transparaissent doucement sur sa fine robe blanche. Au gré des vibrations qui parcourent son corps, elle avance d’un point à l’autre de la scène. La lenteur des mouvements nous fait rentrer dans le temps de l’Histoire, de la mémoire.

Comme une longue plainte, ce spectacle semble véritablement narrer les événements survenus au Japon en mars 2011. Jocelyne Montpetit réussit à faire de son corps un pays à l’agonie. Au milieu des ténèbres, l’interprète émerge comme un phare, une lanterne à la main, conduisant notre regard à se concentrer seulement sur son visage. Puis, se dépouillant de la robe de soie noire qui la ceint, l’artiste nous livre une des plus belles renaissances que les arts aient donnée. Suspendue à ses lèvres, la robe noire paraît incarner la lourdeur du fardeau des générations passées attachée à chaque enfant qui naît. L’ambiance parfaitement travaillée résulte d’une belle combinaison de talents entre le dramaturge italien Francesco Capitano et l’éclairagiste japonaise Sonoyo Nishikawa.

Comme nous aimerions régler notre souffle sur le sien, à côté des éclats vitreux de nos vies. Il y a quelque chose de si bon à sortir de notre univers journalier pour laisser l’artiste exprimer des sentiments que nous ne prenons pas le temps de comprendre ou de matérialiser. Nous aimerions pouvoir prendre cette même lenteur pour ressentir le monde actuel.

Au même titre que Stéphane Hessel appelait à ce que chacun trouve dans la société sujet à indignation, à nous de choisir pour quoi nous voulons que la danseuse pleure. Le regard désemparé de la fin semble dire « Et toi spectateur, que feras-tu de ta société ? »

Avril est le mois le plus cruel. Agora de la danse. 840 Cherrier, Métro Sherbroooke. 14, 15, 16 et 21, 22, 23 septembre 20h.


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