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If you talk the talk, walk the walk

Mettons les pendules à l’heure : le bilinguisme bat toujours de l’aile à la Canadian University Press (CUP), et la présidente manque d’intégrité journalistique.

La semaine dernière, le journal The Varsity de l’Université de Toronto (autrefois affilié à la CUP) publiait l’article « Harassment strikes CUP journalism conference » et faisait un retour sur l’incident « Josée Boileau » : tweets dénigrants et irrespectueux, création d’un faux compte Twitter attribué au quotidien Le Devoir lors de la 73e conférence nationale (lire en détail à ce sujet l’éditorial du 18 janvier), et la situation du bilinguisme au sein de l’organisation qui regroupe près de quatre-vingt-dix journaux étudiants du Canada. Pour l’article, la présidente de la CUP, Erin Cauchi, ainsi que moi-même avons été interviewées (lire l’article sur le site du Varsity). J’aimerais ici ajouter quelques précisions, si ce n’est pas pour dire vérités, aux propos de la présidente.

Silence coupable

Erin Cauchi affirme avoir eu connaissance des tweets peu de temps après la présentation de Josée Boileau. « Ils étaient de mauvais goût et arrogants et j’étais scandalisée. J’ai vu quelques personnes rire de la situation, mais j’ai pensé que c’était horrible. » La présidente était sans doute tourmentée par ces événements, mais elle n’a malheureusement pas partagé ses pensées et son mécontentement. Erin Cauchi est restée muette comme une carpe. Elle n’a pas parlé à ceux qui ont envoyé les tweets, ni n’a discuté de l’incident avec aucun délégué d’un journal francophone, et est restée complètement interdite lors de la session plénière, et plus particulièrement au moment du débat et du vote de la motion qui demandait qu’une utilisation respectueuse des médias sociaux soit insérée dans le prochain code de conduite de NASH (ainsi se réfère-t-on familièrement à la conférence nationale), et qu’une lettre d’excuses soit rédigée à Josée Boileau et au Devoir. Face à l’incident, la présidente est coupable de s’être tue, coupable de ne pas avoir défendu le respect de tous et chacun (alors que nous avions assisté à plus d’une heure et demie d’une présentation qui faisait appel à l’intégration de tous lors de la première journée de la conférence).

La présidente de la CUP assure que, très rapidement après l’incident, ils ont, en tant qu’organisation, précisé qu’ils ne toléraient pas ce type de conduite ou d’attitude. Pourtant, aucun responsable de la CUP n’a commenté l’incident au micro lors de la session plénière, et surtout, aucun n’a montré son appui à la motion proposée par Le Délit, secondé par The McGill Daily. Un silence bien éloquent.

Brouiller les détails, c’est brouiller les pistes

Erin Cauchi aurait également affirmé que ces « impardonnables commentaires » ont pressé un appel téléphonique de la rédactrice en chef du quotidien Le Devoir, mais celle-ci révèle dans une entrevue accordée au Délit qu’elle était « énormément surprise » d’apprendre l’existence de ces tweets par la lecture de l’éditorial publié dans les pages du Délit et sur Twitter le mardi 8 janvier. « Je n’en reviens pas, s’étonne Josée Boileau, j’ai parlé à de jeunes adultes, à des universitaires qui veulent devenir des journalistes. » La présidente de la CUP affirme également que des responsables de la conférence ont répondu à l’appel de Josée Boileau, alors que celle qui avait offert gratuitement une présentation n’a communiqué qu’avec Stéphanie Dufresne, co-coordonnatrice de la conférence nationale.

Erin Cauchi a également tenté d’excuser les propos offensants en alléguant que la conférencière aurait parlé le double du temps qui lui était alloué, mais la rédactrice en chef soutient avoir parlé le temps prévu et convenu, soit une heure. La présidente a même évoqué l’idée que les journalistes issus du papier ne sont pas habitués à de telles présentations. Vraiment ?

On parle deux langues

La présidente de la CUP prétend, d’une part, que les journaux francophones ont depuis ces dernières années eu accès à un avocat (Français ou francophone ? Erin Cauchi semble ne pas faire la différence), mais que, s’ils l’ignoraient, ils avaient pu manquer le bateau. Il me semble raisonnable de croire qu’une des nombreuses tâches de la présidente devrait être de s’assurer que le message se rende à bon port ; avec un salaire annuel de 36 627,38$, pour une coopérative de journaux étudiants, on peut se permettre cette exigence.

D’autre part, elle soutient que bon nombre de journaux menaçaient de s’abstenir de voter, de quitter la session plénière et de mettre fin au bilinguisme –encore faut-il croire qu’il existait. Pourtant, nous ne défiions pas la CUP,  mais désirions manifester notre mécontentement et notre désapprobation, parce qu’il faut bien dire que nous n’étions pas entendus et encore moins défendus.

Liberté d’expression, mais pour qui ? Pourquoi ?

Josée Boileau dit être extrêmement étonnée de savoir que la motion n’a pas été votée à l’unanimité (seulement deux tiers des délégués présents lors de la session plénière ont voté pour la motion). Un certain nombre soutenait que cette motion brimait la liberté d’expression. Quelques commentaires à l’article publié par The Varsity allaient dans le même sens. Mais exagérons-nous vraiment, nous, francophones indignés ?

Erin Cauchi pense, contrairement à ce que j’affirmais dans mon éditorial, que l’organisation n’aurait pu faire l’objet d’une poursuite. « Je ne crois pas que ce soit diffamatoire, poursuit-elle, je pense seulement que c’était très grossier. » La présidente de la CUP ne pense peut-être pas que l’incident soit si grave, mais la rédactrice en chef du Devoir affirme que nombreux dans son entourage remettaient en question son refus d’entamer des poursuites judiciaires. On peut sans conteste dire qu’il y a eu vol d’identité et de droits de reproduction, et diffamation, et Josée Boileau le confirme. Comme elle le rappelle, un geste semblable peut aboutir à une perte d’emploi, comme pour l’animateur de radio Maxime Roberge qui, pendant le gala de l’ADISQ en novembre dernier, avait écrit des propos désobligeants sur l’événement et sur différents participants sur Twitter. Les excuses, bien que sincères, ne sont survenues que trop tard.

Josée Boileau explique avoir longtemps médité la question, en attendant la lettre d’excuses promise, expliquant que « la moutarde [lui] montait au nez » alors que la lettre tardait. Ces mots d’excuses, « cette lettre très bien rédigée » selon la rédactrice en chef, n’est arrivée qu’au début de la semaine dernière. Malgré le sentiment d’avoir été « ridiculisée », Josée Boileau a été indulgente, car l’organisation était dirigée par des étudiants et que les infrastructures étaient peut-être lacunaires ; mais ce fait peut-il réellement pardonner ce manque de responsabilité et d’intégrité ? La rédactrice en chef du quotidien Le Devoir ne pense toutefois pas qu’elle eût été mise au courant de l’incident par les responsables de la CUP, ni  qu’elle eût reçu la lettre d’excuses, sans que Le Délit n’eût dénoncé les tweets.

Le journaliste de demain au visage double

La création anonyme du faux compte Twitter est un acte « lâche », déclare Josée Boileau. Elle aurait préféré que ces jeunes s’expriment à visage découvert, qu’ils la huent peut-être, bien qu’elle affirme avoir discuté avec quelques francophones qui lui disaient avoir apprécié sa présentation.

« Ces nouvelles communications ont leur effet pervers. » Josée Boileau ressasse une vérité qui n’est que trop attestée. Toutefois, certains oublient que, malgré la rapidité à laquelle ces commentaires apparaissent et disparaissent, pendant le temps qu’ils sont lus et partagés, ceux-ci accentuent le fossé entre les francophones et les anglophones, exagèrent les stéréotypes, aggravent l’irrespect et rient de l’intégrité journalistique.

Les médias ne se sont pas encore adaptés à tous ces changements technologiques, et cette nouvelle sphère requiert plus de sens critique de la part des lecteurs, et plus de maturité de la part des utilisateurs, surtout pour ceux qui en font usage dans un cadre professionnel. Si ce n’est pas nous, étudiants et jeunes journalistes, qui entamons le pas, qui le fera ?


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