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Un polar théâtral al dente

Le théâtre Blanc et le Théâtre l’Escaouette présentent Nature morte dans un fossé, une pièce écrite par un jeune auteur italien prometteur, Fausto Paravidino. 

Italie. Après une soirée teintée d’alcool et de sexe, Boy (Christian Essiambre) percute un arbre avec sa voiture. Dans un fossé, il fait une drôle de découverte : du sang, un corps nu… une femme sauvagement assassinée ! C’est ainsi que débute l’infernale course contre la montre de l’inspecteur Cop –brillamment interprété par Kevin McKoy– qui traque sans relâche le coupable. Seize heures avant la parution du journal du soir se met en place un véritable casse-tête. Tour à tour, les protagonistes témoigneront.

L’immédiat conjugué à tous les temps
L’enquête prend vie sous nos yeux. Devant nous, un décor épuré éclairé par des néons, créant une ambiance crue qui prend vie grâce aux différents jeux de lumière et au monologue des protagonistes –le travail de chorale est époustouflant. Les voix tracent différents chemins où s’animent de nombreux personnages à travers les témoignages. Elles convoquent divers espaces-temps où se superposent passé, présent et futur. La magie de la reconstitution opère sous nos yeux.

Le texte n’a pas dû être facile à se mettre en bouche, à cause des monologues longs et peu aérés. Cela requiert beaucoup de concentration de la part des acteurs qui interviennent vocalement ou physiquement tout au long des monologues. Seul bémol : le débit de paroles des comédiens –tantôt trop rapide, tantôt trop mâché– rend difficiles la compréhension et l’assimilation de certaines informations.

La pièce de Fausto Paravidino est présentée dans le programme par le metteur en scène Christian Lapointe comme un « récit de l’immédiat [où] les acteurs ne sont pas à jouer de façon réaliste leurs « personnages ». Ils sont en général occupés à faire des actions concrètes qui sont liées à la narration. »

Nicolas Frank Vachon

Nature morte en mouvement
Le scénographe Jean Hazel, directeur artistique du Théâtre Blanc, s’est inspiré du titre de la pièce pour construire son univers scénique. Si, de première abord, la nature morte désigne des objets inanimés, il est intéressant de transposer cette définition dans nos sociétés actuelles. Reprenant la conception de Warhol reliant la nature morte à une société de consommation, Jean Hazel pense que la nature morte de notre génération serait celle des quelques minutes de gloire rendues possibles grâce aux réseaux sociaux ou autres interfaces du web, donnant ainsi un assemblage de natures mortes animées sur un écran d’ordinateur.

Cet assemblage de natures mortes, nous le retrouvons dans la pièce, par le biais d’images projetées sur scène tout au long de la représentation. Pour Jean Hazel, la nature morte contemporaine n’est donc pas statique, contrastant avec une société qui reste prisonnière de ses préjugés et de ses illusions.

Une société suspecte
À mi-chemin entre polar théâtral et critique, Nature morte dans un fossé propose une réflexion sociale et politique sur notre société. Le dramaturge nous entraîne dans un univers obscur où règnent drogue, prostitution et violence, et où les gens sont avides de pouvoir et d’argent. Cette atmosphère pesante et dérangeante est rendue digeste par l’humour noir et la mise en scène décalée de Christian Lapointe. L’une des question soulevées est particulièrement intéressante : la façon dont on meurt pourrait-elle être un choix ? Si les victimes connaissaient d’avance leur assassin, leur existence consisterait à courir –bon gré, mal gré– vers ce rendez-vous avec la Faucheuse. On ne peut échapper à la Mort, qu’elle soit provoquée par un autre ou par soi-même : ainsi, Boy se passe la corde au cou, anticipant le dénouement final. Tous les accessoires que nous présentent les protagonistes au début de la pièce prennent sens au fur et à mesure de la représentation.

La course contre la montre s’achève, après un peu moins de deux heures de spectacle, sur une fin brutale et imprévisible. Nature morte dans un fossé rafraîchit par son sujet à la fois étonnant et provocateur.


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