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Dans la peau des francophones

J’étais un peu en retard pour mon cours du jeudi matin. Sortie la veille pour l’anniversaire d’un ami, je n’aurais pas été capable de me lever si je n’avais pas eu une bonne tasse de café à boire. Je suis donc arrivée à l’université en courant, avec du café dans ma grande tasse Banff Tea Company, à l’heure exacte où le cours commençait. C’est lorsque je me suis assise à côté de mon ami qu’il s’est exclamé : « Je ne comprends pas comment vous, les Québécois, vous faites pour boire autant de café ! »

Installée à Paris pour la session, je me suis rendue compte dès le début que le déjeuner, le « p’tit déj’», ne se prenait pas en route, en France. Boire un super-extra-grand-café-Second-Cup-avec-un-muffin et grignoter des fruits ou une barre granola ne se faisait pas non plus en plein cours. Comme me l’a expliqué Adeline Bibet, Parisienne en échange cette année à McGill : « Le petit déjeuner est pris à la maison, assis, tranquille ». De plus, les gens vont dans des cafés vers 16h, jamais seuls. Le seul café où les gens se posent pendant des heures pour travailler, c’est le Starbucks.

À Paris, contrairement à Montréal, la faune étudiante ne monopolise pas les Second Cup, les Press Café ou autres Java U. Les étudiants travaillent chez eux et parfois, à la bibliothèque. Par contre, il n’y a pas de bibliothèques ouvertes les dimanches, et elles ferment toutes vers 21h pendant la semaine, à 17h le samedi… ce qui m’a obligée à trouver un autre espace pour étudier. Je me suis retrouvée à plusieurs reprises au MacDo –ouvert jusqu’à minuit tous les jours de la semaine, et où l’on trouve du Wifi et des espressos à deux euros. Trouver une niche où s’installer et étudier est essentiel pour tout étudiant en échange. Lauriane Gabelle, à McGill pour la session tout comme Adeline, explique que la bibliothèque de McGill est super, car « les espaces sont plus grands, et qu’en général, il y a plus de place pour les étudiants, et plus d’ordinateurs que dans la bibliothèque de Sciences Po, à Paris. »

Non seulement Adeline et Lauriane aiment bien les bibliothèques de McGill, mais elles aiment aussi la grande variété de cours qu’on y offre et la vie étudiante mcgilloise. Lauriane danse le swing, et Adeline en profite pour prendre des cours « pay as you go » au Centre sportif, ainsi qu’un cours de yoga.

Bien qu’elles aiment la ville de Montréal, les bibliothèques du campus, la vie étudiante et les cours offerts à McGill, un élément particulièrement important de leur culture leur manque : la nourriture. « Du fromage, du pain et de la charcuterie ! » s’exclame Lauriane. Quant à Adeline, elle ajoute que les friandises que l’on grignote entre les repas, comme les gaufres, lui manquent aussi.

La nourriture nord-américaine, en plus de ne pas satisfaire complètement leurs attentes, coûte très cher sur le campus. « À l’université, à Paris, un dîner complet, sandwich de la boulangerie, fruit ou yogourt et boisson, se vend pour pas plus de trois euros. De plus, il existe un système de Restos Universitaires, des cafétérias pour les étudiants, où pour 2,85 euros, on a une entrée, un plat principal, du fromage, un fruit, un dessert et une boisson », explique Adeline. « Ce n’est pas très bon, mais c’est équilibré et vraiment pas cher pour les étudiants ! », ajoute Lauriane. Cette dernière est aussi surprise qu’il y ait autant de végétariens à Montréal et apprécie l’initiative de l’association Midnight Kitchen, qu’elle fréquente régulièrement.

Lors de leur application universitaire, McGill figurait en tête de liste pour les deux étudiantes parisiennes. La renommée de l’université et la perspective de découvrir le Canada ont convaincu Adeline. Lauriane, quant à elle, souhaitait découvrir un pays anglophone : « L’Australie était trop loin, Londres était trop près. Pour la culture et les paysages, j’ai choisi le Canada plutôt que les États-Unis ». De plus, McGill l’a attirée par la diversité de ses cours, particulièrement liée à l’environnement et la vie étudiante.

Les Françaises sont globalement très heureuses de leur échange : « Les gens sont super gentils, très accueillants », assure Lauriane. Accueillants, mais pas trop : « Les gens à Montréal ont aussi de la retenue, comme les Français ; je me sens plus à l’aise ici qu’à Toronto, par exemple » complète Adeline. Percevant une nette différence entre la gente de Toronto et les Montréalais, elles préfèrent Montréal. Par exemple, elles se sont souvent fait aider dans la rue quand elles étaient perdues, chose que font parfois les Parisiens, mais avec moins d’empressement.

Raphaël Thézé | Le Délit
McGill : Un autre monde pour les Québécois francophones ?

Pour approfondir ce regard sur l’expérience des Français de France à McGill, j’ai parlé avec deux Québécois francophones pour voir comment ils se sentaient à McGill, dans un environnement largement anglophone. J’ai parlé avec Louis-Michel Gauthier, U3 en Sciences Politiques et Économie, de Québec, et Éléna Choquette, U3 en Sciences Politiques et Philosophie, de Lac-Mégantic.

Être Français de France à McGill ne semble pas être un choc culturel trop grand. Qu’en est-il pour les Québécois francophones qui viennent des régions ? Pour Louis-Michel Gauthier et Éléna Choquette, deux étudiants de troisième année en sciences politiques, c’est la réputation de McGill, l’opportunité de parfaire leur bilinguisme et le désir de découvrir Montréal qui a guidé leur choix.

« Je n’ai pas vraiment eu de choc culturel, mais j’ai connu des tas de gens qui appartenaient à des dizaines de cultures différentes. Dans ma ville natale, Québec, tout est plus homogène ; les gens se ressemblent, et leurs valeurs, leurs principes, leur langue maternelle, etc. sont tous très similaires. À McGill, les élèves arrivent des quatre coins du monde et j’ai donc fait face pour la première fois à une école très hétérogène » explique Louis-Michel. Issue d’une petite ville, Lac-Mégantic, Éléna a, quant à elle, vécu un choc quand elle est arrivée à Montréal pour étudier. « Il faut dire que je m’attendais à trouver beaucoup d’anglophones, et que la plupart de mes amis et amies étaient francophones. La seule différence significative demeurait la langue d’enseignement ».

Est-ce qu’ils sont contents d’avoir choisi McGill ? Oui, pour de nombreuses raisons. L’université est « gérée par des centaines d’étudiants motivés à faire bouger les choses », affirme Louis-Michel. Sa seule critique ? « Il n’y a pas beaucoup de liberté intellectuelle dans les cours. Pour être plus précis, si un professeur voit la matière d’une certaine façon, il est pratiquement impossible d’argumenter différemment si l’on désire obtenir une bonne note. J’avais connu cette liberté au Cégep et il était dommage de la voir partir par la suite ». Éléna, pour sa part, est d’accord pour dire que le choix et la qualité des cours sont très élevés. « J’ai l’impression que j’ai appris à lire efficacement en anglais, ce qui me permettra de lire plus rapidement à la maîtrise (même si j’étudie en français, l’essentiel de la littérature scientifique n’est pas traduite en français)». D’un autre côté, elle déplore « le manque de mobilisation des étudiants mcgillois lorsque vient le temps de défendre leurs intérêts financiers face au gouvernement du Québec. Mais étant donné la démographie de la population étudiante mcgilloise, j’imagine que ça s’explique ». En fait, presque 50% des étudiants de McGill ne viennent pas du Québec, alors qu’à l’UQAM, le taux des étudiants non-Québécois est de 6%.

Ils ont ajouté que les francophones avaient une tendance à se regrouper, mais que « malgré tout, je connais beaucoup de francophones à McGill dont les amis sont majoritairement anglophones. Et tout dépendant de mes cours et sessions, je crois aussi avoir été avec des anglophones la plupart du temps » nous explique Louis-Michel. Éléna confirme que la réalité des francophones est différente : « Par exemple, ils ne vivent pas nécessairement en résidence puisque la ville montréalaise et la location d’appartement dans un milieu francophone leur sont plus familières. Souvent aussi, ils ont des amis à l’extérieur du campus, et restent moins sur le campus après leurs cours ».

En ce qui concerne le succès académique, Louis-Michel concède que les conférences peuvent être difficiles pour les francophones, surtout en première année. « Ce ne sont pas les autres élèves cependant qui créent cette pression ; c’est nous. Nous pensons que les autres élèves vont nous juger mais finalement, ce n’est pas le cas ». Du côté implication sur le campus, c’est plutôt difficile, car la plupart des francophones n’ont pas vécu en résidence. « Je remarque une différence marquée entre les francophones qui ont vécu en résidence et les autres », conclut Éléna.

Il semble que l’expérience d’un Québécois « chez-soi » à McGill peut être très différente de l’expérience des autres étudiants à McGill, notamment à cause de la langue d’enseignement.

Il reste que McGill offre une expérience tout à fait différente pour une variété de gens, que ça soit pour la langue, les repas, les cours ou la vie étudiante. « Montréal est une ville véritablement multiculturelle où, pour le meilleur ou le pire, le français et l’anglais se disputent la majorité », conclue philosophiquement Louis-Michel.


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