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Vers une sphère publique laïque, vraiment ?

L’Université McGill et la Fondation pour la foi Tony Blair en partenariat pour l’étude du rôle de la religion dans un monde globalisé.

Le 12 novembre dernier, étudiants, professeurs ainsi que plusieurs personnalités publiques se sont rassemblés dans la grande salle de l’ancien Hôtel Windsor afin d’entendre une allocution de l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair, soulignant de ce fait le partenariat entre sa Fondation pour la foi et la Faculté d’études religieuses de l’Université McGill. L’objectif de cette coopération consiste à établir un contexte intellectuel et académique quant à l’étude de « l’impact de la foi sur la politique, les affaires, la société et le développement d’une collectivité de plus en plus globalisée ». Au total, sept universités à travers le monde font partie de ce mouvement, dont l’Université Yale aux États-Unis et l’Université Durham au Royaume-Uni. L’événement a pris la forme d’une discussion de trois-quarts d’heure entre le politicien à la retraite et l’animateur de la CBC Evan Solomon.
« Le XXIe siècle ne sera pas marqué par des questions fondamentales de la droite contre la gauche, du capitalisme contre le socialisme », a expliqué Tony Blair. Selon lui, l’enjeu majeur sera de savoir « si la religion devient une force pour le progrès, ou bien si elle ne devient qu’une source de conflits et de sectarisme ». Il a ajouté que l’étude de la religion est essentielle dans la sphère publique puisque « les politiciens ne peuvent pas se fier à une opinion publique chancelante, mais plutôt à un travail académique solide et indépendant » que seules les universités peuvent fournir. De plus, selon lui, l’a priori selon lequel une société devient de moins en moins religieuse à mesure qu’elle gagne en prospérité est faux : « En fait, la religion gagne en popularité tant au sein des sociétés développées que dans celles en développement. La religion est donc là, mais la question est maintenant de savoir quel rôle elle devrait jouer ». La foi serait donc devenue un sujet incontournable en gouvernance publique : « Si vous voulez être un leader aujourd’hui, vous ne pouvez pas être religieusement illettré. Vous serez peut-être en désaccord avec la religion, vous ne l’aimerez peut-être pas, mais vous devez impérativement connaître ce sujet », a‑t-il affirmé.
Si Tony Blair a parlé du rôle de la foi au niveau politique, il a aussi abordé le sujet de la religion dans la prise de décisions importantes. « La foi a une influence importante dans la façon de penser. On ne peut pas aller dans un coin, prier et demander à Dieu quel devrait être le salaire minimum ! La foi donne cependant du courage, mais ne nous dit pas si ce que nous faisons est bien ou mauvais ».
L’événement a grandement plu à Arvind Sharma, professeur à la Faculté d’études religieuses de McGill. « Le message de Tony Blair, exprimant qu’il faut entendre ce que la religion a à dire, est important dans le sens qu’il ne faut pas laisser la religion dicter ce que nous faisons. L’ouverture est désirable, et non la domination de la religion ».
Le professeur Sharma pense aussi que la religion tient un rôle de plus en plus important au niveau politique, mais que la question n’est pas de choisir entre la laïcité ou le pluralisme religieux. « En fin de compte, c’est la société qui le déterminera », tranche-t-il. « Cependant, dans une société moderne, nous devrions viser la laïcité, et à la fois considérer la diversité religieuse dans nos décisions politiques ». Selon lui, nous devrions « privilégier un système laïc-pluriel plutôt que religieux-pluriel. On tolèrerait ainsi le pluralisme religieux, mais ce dernier serait circonscrit de par des considérations laïques. La laïcité complète est dangereuse, puisqu’elle deviendrait une nouvelle religion. Elle serait forcée sur le peuple, ce serait une idéologie officielle ». Lorsqu’on lui demande si retirer le crucifix de l’Assemblée Nationale serait un geste dangereux, le professeur répond que « la majorité des Québécois sont chrétiens. Le crucifix n’est pas une offense, mais si des minorités se sentaient discriminées à cause de cela, ce serait autre chose. Jusqu’à présent, personne ne s’est plaint. Je ne vois donc pas le but d’enlever le crucifix. »
Arvind Sharma est d’avis que Montréal est une place de choix pour l’étude de ce sujet parfois délicat : « Montréal est riche en communautés. C’est en effet la deuxième ville la plus diverse en Amérique du Nord après la ville de New York. L’étude de ce sujet à McGill permet une anticipation d’un modèle global ». Tony Blair avait d’ailleurs affirmé, au sujet des accommodements raisonnables au Québec, que c’était « un concept construit pour trouver des solutions à des problèmes importants. C’est toutefois intéressant de voir que le monde entier vous regarde résoudre ces questions, car eux-mêmes sont à la recherche d’une façon de remédier à leur situation ». Il apparaît donc logique que Montréal soit un laboratoire de choix pour observer ces phénomènes. Pourquoi la Fondation pour la foi a choisi McGill ? Tony Blair n’a pu s’empêcher : « Parce que c’est une institution fantastique pour l’apprentissage ». Décidemment, son flegme de politicien n’avait pas pris congé. 


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