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Tolérance et foi en terre brûlée

Koudiadiène, Sénégal, été 2009. Un monde dominé par la foi.

Vers le VIIe siècle, les Royaumes du Tekrour, du Namandirou et du Djolof se forment progressivement. En ces temps reculés, les peuples et leurs croyances cohabitent sans friction. L’arrivée de l’islam au Sénégal remonte au VIIIe et au IXe siècle. Introduite par les commerçants arabo-berbères, la religion est diffusée pacifiquement. Une fois convertis, les Toucouleurs et les Sarakhollés la propagent partout au Sénégal. Puis, au XIXe siècle apparait le colonisateur français, majoritairement catholique, qui se fait un devoir d’enseigner et/ou d’imposer ses pratiques. Aujourd’hui, malgré son indépendance, le Sénégal demeure officiellement catholique et musulman. Cependant, les Sénégalais suivent-ils vraiment les principes fondateurs de ces religions ou ont-ils, avec le temps, combiné les éléments qui les intéressaient le plus ?

Dans un village ou la religion est partout
À l’intérieur du village de Koudiadiène, les personnes de croyance islamique et catholique cohabitent très bien. Si les mœurs diffèrent d’une religion à l’autre (polygamie et appel à la prière pour les musulmans et monogamie et visite à l’église pour les catholiques), les différences semblent très bien intégrées dans leur mode de vie.
La grande majorité des familles catholiques dans le village de Koudiadiène voient leur vie influencée par le dogme catholique. Tout chrétien doit minimalement assister aux messes célébrées à l’Église le dimanche. Tout le monde ne suit pas scrupuleusement ces indications, mais, de manière générale, la messe dominicale est un événement qui rassemble une majorité de citoyens, des plus petits aux plus grands. D’ailleurs, les jeunes en âge de faire leur première communion ou leur confirmation doivent impérativement y être, faute de quoi ils seront réprimandés par le Père en charge de leurs sacrements. Les familles musulmanes, quant à elles, vivent au rythme des appels à la prière et se rendent à la mosquée régulièrement.
À Koudiadiène, le son des cloches de l’église est une symphonie orchestrée par les novices de la paroisse du village. S’il est impossible de savoir exactement l’heure à laquelle se passera un événement, il est tout de même possible de se fier aux cloches de l’église pour s’orienter. Le tintamarre des cloches ponctue le quotidien d’un je-ne-sais-quoi de rassurant, comme si les cloches mettaient des balises dans un espace-temps où les horaires sont très malléables, les contraintes temporelles quasi inexistantes.
De plus, si la religion catholique ou islamique s’inculque dès le plus jeune âge dans la famille sénégalaise, l’éducation religieuse continue en dehors du foyer familial. Les cours de religion (islamique ou catholique) apparaissent donc aussi à l’ordre du jour des jeunes étudiants. Pour les catholiques, le catéchisme enseigné à l’école primaire vise entre autre à préparer les jeunes aux sacrements tels que la première communion et la confirmation. Les enfants apprennent aussi à réciter les prières destinées à l’église.
Le petit catéchisme copié, recopié, étudié, appris et finalement récité en vue d’être évalué n’est toutefois pas toujours compris par les plus jeunes. Les enfants ne comprennent probablement pas la moitié des préceptes enseignés, mais ils les clament à qui mieux-mieux dès que l’occasion se présente. Par exemple, savoir qui sont Jésus, Marie et Joseph semble étrangement intégré lorsqu’ils se réunissent et entonnent en chœur des chants religieux… en chemin vers le terrain de soccer ou au retour de l’école.
Ainsi, dans le village, à l’église et à l’école, les religions s’enseignent et s’apprennent dans les règles de l’art. Mais la pratique est-elle représentative des croyances profondes ? 

Un mélange qui s’inspire de l’histoire
Si certaines règles du catholicisme sont scrupuleusement respectées, plusieurs grandes lignes manquent tout de même à l’équation. Les traditions ancestrales côtoient notamment beaucoup les deux grandes religions « officielles ». Les rites animistes, en ce qui a trait aux mauvais esprits et aux malédictions, restent centraux à leur mode de vie.
Comme si les peurs étaient dans les gènes, transmises de génération en génération, les malédictions demeurent encore actives malgré leur contradiction avec les préceptes catholiques. Étrangement, les croyances en les mauvais esprits (qui prennent le plus souvent la forme d’un singe) côtoient quotidiennement et depuis longtemps la religion catholique. Autant le catholicisme les imbibe de son aura de foi et d’encens protecteur, autant ils restent craintifs face aux forces occultes qui paralysaient déjà de peur leurs arrières-arrières-grands-parents.
Une autre présence évidente des rites ancestraux s’exhibe dans la médecine traditionnelle qui fait encore beaucoup d’adeptes. Quel paradoxe de croire fermement en les préceptes catholiques, de scrupuleusement suivre les règles qu’elles impliquent mais de tout de même être influencé par de vieilles peurs ! Et de ce mélange, quel est le dénominateur commun ?

La foi comme moteur d’une nation
« Sans foi, sans Dieu, nous ne sommes rien. Comment pouvez-vous [les occidentaux] ne croire en rien ? », questionne avec étonnement un homme rencontré au village. Lui répondre que je crois en moi ne lui suffit pas…
L’absence d’une pratique de la spiritualité chez la majorité des occidentaux contemporains est incompréhensible pour beaucoup de villageois. « Vous pouvez bien croire en ce que vous voulez, mais vous devez croire en quelque chose, tout de même ! »
La foi demeure toutefois ce qu’il y a de plus intelligible pour les occidentaux que nous sommes lorsque nous tentons d’analyser la structure religieuse des communautés comme celle rencontrée à Koudiadiène, au Sénégal. En effet, ce n’est pas la religion catholique, musulmane ou animiste qui caractérise les habitants du Sénégal, mais bien un amalgame de ces trois croyances. Et la foi en est le dénominateur commun.
La participation active des religieux dans la vie du village est comparable à celle des prêtres québécois des années 1940. Ce fait est impressionnant à un moment où la pratique de la religion s’efface tranquillement du quotidien pour devenir occasionnelle, sinon inexistante pour certains. En fait, l’action des pères à Koudiadiène dépassent leur simple mandat religieux : ils prennent part à la survie et la continuité du village.
Père Yves, le supérieur de la paroisse, organise, à fréquence irrégulière, des soirées « thé-débat » où tous et chacun sont invités à discuter des enjeux de la vie à Koudiadiène. Quoique tout le monde reste le bienvenu (y compris les étrangers), les échanges de la sorte visent principalement les jeunes de la communauté, ceux les plus susceptibles de changer la société, de bouleverser l’ordre établi. En effet, les « thé-débats » demeurent le meilleur moment pour s’asseoir et discuter des problèmes rencontrés dans l’immédiat ou dans le futur, discuter des manières les plus efficaces pour les résoudre et améliorer ce qui a déjà été implanté.
Lors d’une séance spéciale, père Yves tente de brosser un large portrait de la situation du village. N’épargnant pas les sujets les plus délicats comme les problèmes d’alcoolisme qui monopolisent une bonne part de la population masculine ou l’évidente carence d’emploi pour les hommes de la région, père Yves tente de faire comprendre aux jeunes présents qu’ils doivent avoir de l’espoir. Il leur enseigne que l’espérance en un avenir meilleur se doit d’être leur allié.
Ce soir-là, les paroles de père Yves, transmises avec la foi coutumière des croyants, restaient toutefois entièrement dépourvues de toute allusion à la spiritualité. Même lorsque la discussion a convergé vers les croyances animistes qui empêchent l’exploitation de certaines terres par peur des mauvais esprits, père Yves a tenu à maintenir la religion catholique à l’écart : « Est-ce bien logique de laisser de belles terres en latence par peur d’éventuels esprits vengeurs ? Je ne suis pas contre l’idée que le malin existe, mais vous devrez me le prouver avant que je mette une croix sur la possibilité d’exploiter les terrains actuellement gaspillés par une peur irrationnelle. »
À l’heure actuelle, plus de la moitié de la population du Sénégal vit sous le seuil de pauvreté, le taux de chômage est de 40% et les ressources naturelles sont épuisées par des années de surexploitation. L’état de la politique, de l’économie, mais aussi de la culture sont autant conséquences d’un passé marqué par la colonisation. La foi peut se déployer sous plusieurs formes, et dans ce pays le plus à l’Ouest du continent africain la foi demeure forte. Pour les Sénégalais de Koudiadiène, elle peut être vue comme le dénominateur commun des diverses croyances qui se côtoient quotidiennement. Pourtant, pour les sortir d’une pauvreté galopante, pour leur redonner la fierté d’être Sénégalais, ils doivent avoir foi en leur capacité. 


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