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Le e‑book : un livre ouvert ?

Comme toute nouvelle technologie, le livre électronique suscite craintes et interrogations, surtout en ce qui concerne la diffusion non autorisée des livres. Il est d’autant plus voué à remplacer un objet auquel les gens sont attachés : le livre papier.

À la suite du lancement du iPad en mai dernier, le site web TorrentFreak a lancé sa petite enquête sur le téléchargement des livres électroniques : les téléchargements ont augmenté en moyenne de 78%. Cette hausse a été observée auprès des livres qui faisaient partie du palmarès des dix livres les plus vendus aux États-Unis (les trois premiers étant respectivement The Blind Side, The Tipping Point et Freakonomics). Les ventes de livres électroniques comptent désormais pour 10% du marché aux États-Unis, alors que la proportion s’élevait à 1% il y a à peine deux ans. Comment évoluera le livre électronique au Québec ? L’adoption  de la gestion des droits numériques (GDN) et la dominance marquée de certaines entreprises suscitent la discussion.

Anatomie d’un livre électronique

La lecture d’un livre électronique peut se faire sur des appareils dédiés exclusivement à la lecture de ceux-ci comme le Kindle d’Amazon, mais aussi sur des appareils à usages variés comme les baladeurs numériques, les téléphones intelligents, les tablettes électroniques et les ordinateurs personnels. Les livres électroniques sont disponibles dans plusieurs formats ; certains sont universels et d’autres ne permettent la lecture qu’à partir d’appareils particuliers, parfois protégés par des droits numériques.

Une des premières considérations des consommateurs par rapport au livre électronique est son prix. Moins onéreux que le livre traditionnel, la différence entre le prix du livre numérique et du livre papier n’est toutefois pas la même partout. En effet, elle est beaucoup plus marquée sur le marché anglophone. « Amazon​.ca vend des livres électroniques à perte depuis quelques années », explique Marie-Hélène Vaugeois, présidente de l’Association des librairies du Québec (ALQ). Cela force ses compétiteurs à diminuer leurs prix afin de pouvoir se tailler une place sur le marché. Néanmoins, pour ce qui est des éditeurs québécois, c’est une toute autre histoire. La différence de prix est beaucoup moins grande. Il y a toutefois des coût supplémentaires telle la ePub mentionne Marie-Hélène Vaugeois.  La ePub est le format électronique dans lequel certains livres électroniques sont publiés. Tel que pour les livres papiers, il doit y avoir un travail de correction de texte et une somme versée à l’auteur, mais il y a également une nouvelle mise en page. Madame Vaugeois explique qu’il faudra encore attendre avant de rentabiliser un livre électronique pour une maison d’édition québécoise.

Raphael Theze

À l’opposé, André Racette, adjoint à la direction générale de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois, rétorque que les livres électroniques sont beaucoup moins coûteux à produire que les livres papiers. Ils sont l’occasion pour les auteurs de réviser leur pourcentage de redevance à la hausse. « Les éditeurs qui vendent des livres numériques ont souvent moins d’intermédiaires dans la chaîne de distribution, explique-t-il, ils distribuent souvent les livres numériques directement sur leur site Internet. Ils n’ont pas de frais d’entreposage et, bien entendu, d’impression. » Monsieur Racette se méfie d’ailleurs des compagnies comme Amazon qui contrôlent aujourd’hui le marché américain. « C’est présentement un couteau à double tranchant : on voudrait que les pourcentages soient plus importants, mais, en même temps, les prix de vente qu’on constate aux États-Unis sont souvent beaucoup plus bas que le livre papier. Il faut se méfier de ce phénomène parce que ça ne se traduira pas par des plus grands revenus pour les auteurs » déplore-t-il.

Dans une autre perspective, le livre électronique permet de regrouper l’intégralité d’une bibliothèque dans un seul appareil. Cela trouve son pesant d’or auprès des étudiants et des professeurs, mais ceux pour qui la lecture est un loisir,  le livre électronique paraît moins utile. Transporter un objet tel qu’une tablette électronique peut être plus encombrant et plus lourd qu’un livre en format de poche. En outre, la caractéristique la plus importante du livre électronique reste son interactivité. Il permet de faire des recherches et de retrouver des citations en un clin d’œil, de copier et coller des extraits, de prendre des notes, de marquer des pages faciles d’accès avec une table des matières. La police, la couleur et la taille des caractères peuvent être modifiées au goût du lecteur. Les images et les textes en couleurs et tout contenu audio et vidéo ne sont pas des frais supplémentaires pour les éditeurs. L’instantanéité caractérise bien notre ère, car les livres électroniques peuvent être achetés de n’importe quel endroit ayant accès à Internet et à n’importe quelle heure.

L’idée que le livre électronique est meilleur pour l’environnement est contesté. D’un côté, il permet une économie notable de papier. De l’autre, les matériaux servant à la production de ces appareils sont nuisibles pour l’environnement. De plus, ceux-ci nécessitent une source supplémentaire de dépense d’énergie.

Marie-Hélène Vaugeois soulève un autre problème qu’est cette omniprésence de la technologie dans nos vies : « Lire, c’est un peu le moment où on peut éviter la technologie. » La première fonction d’un livre de littérature est celle de l’évasion, mais l’écran rend difficile cette distanciation avec notre monde actuel. Certains dispositifs de lecture à l’encre tentent de reproduire l’effet du livre, car le toucher du livre apporterait un sentiment de détente. Madame Vaugeois affirme cependant que ceux-ci ne sont pas encore au point.

Droits au but

Pour faire le tour de la question du livre électronique, il est essentiel d’aborder la question de la gestion des droits numériques (GDN). Ceux-ci sont des protocoles limitant le partage des livres électroniques afin qu’ils ne soient pas distribués illégalement. Cette mesure a, entre autre, été utilisée par Sony dans le domaine de la musique.

La GDN apporte son lot de problèmes. Certes, ils permettent la protection des livres, mais ils rendent compliqué le transfert d’un livre électronique d’un appareil à un autre et nécessitent que les éditeurs fournissent le support informatique nécessaire à leur utilisation. En outre, les droits numériques sont gérés par des compagnies extérieures aux maisons d’éditions. Si ces premières font faillite, les lecteurs ne peuvent plus avoir accès aux livres électroniques qu’ils ont achetés. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé à Fictionwise, un détaillant de livres électroniques. Bien que l’entreprise ait garanti aux utilisateurs qu’ils retrouveraient leurs livres, toutes les annotations et les modifications faites sur ceux-ci ont été perdues. Un consommateur possède-t-il alors vraiment un livre électronique lorsque celui-ci est protégé par la GDN ?

Les livres électroniques protégés par des droits numériques ne peuvent pas, ou de façon très limitée, être prêtés. Cette caractéristique semble pratique pour une bibliothèque. Lorsqu’un livre électronique est emprunté, il n’est automatiquement plus disponible pour les autres utilisateurs. Après un nombre de jours donné, il disparait automatiquement de l’appareil sur lequel il était utilisé et est, de nouveau, disponible à tous. L’avantage de cette pratique, c’est qu’elle tend à reproduire le mécanisme typique lié à l’emprunt d’un livre papier. « La beauté de la technologie, c’est les autres possibilités. La liberté et la flexibilité », avance Ernesto, créateur du site web TorrentFreak. Il exprime son point de vue en comparant le cas du livre électronique avec celui d’une caméra numérique. Le but de la technologie est l’amélioration, et non la reproduction de ce qui existe déjà. De plus, empêcher une bibliothèque de prêter plusieurs exemplaires d’un même livre prouve que la GDN n’est pas, tout d’abord, une mesure pour empêcher le piratage. Ils sont plutôt destinés à assurer un profit monétaire.

Les supporteurs de la GDN expliquent que lorsque les livres sont protégés de manière efficace, l’option la plus simple pour se procurer un livre devient l’achat et non le téléchargement. D’ailleurs, beaucoup de livres électroniques en vente sur Internet ne sont pas disponibles sur les sites de téléchargement. L’étude mentionnée au tout début de l’article en est une preuve : le palmarès des dix livres les plus vendus, toutes catégories confondues, n’a pas été utilisé puisque les livres n’étaient pas tous disponibles sur les sites de téléchargement. Ernesto s’oppose toutefois à cette perception de la GDN. « Ils n’empêchent pas le partage illégal des livres, les droits numériques peuvent être facilement piratés » explique le webmestre. Qu’il y ait des droits numériques ou non, les copies d’un livre électronique seront, un jour ou l’autre, disponibles sur la toile. « La GDN ne fait que punir les consommateurs honnêtes » s’indigne-t-il. Ceux-ci ne peuvent pas disposer de leur bien comme bon leur semble. « Je pense que la GDN n’est pas la solution », partage Madame Vaugeois, appuyant l’opinion d’Ernesto. « Je pense que pour que la vente des livres électroniques augmente, il faut que ce soit simple. Et les droits numériques ne sont pas simples » ajoute-t-elle. En débloquant des options comme le partage du livre et l’utilisation sur plusieurs appareils, le livre électronique deviendrait plus pratique que le livre papier et plus simple d’utilisation pour les utilisateurs qui ne sont pas des mordus d’informatique. En ce sens, c’est peut-être l’industrie québécoise qui est en mesure de donner une leçon à ses confrères sur la protection du livre électronique. Comme l’a indiqué Marie-Hélène Vaugeois, la plupart des livres électroniques québécois ne sont pas protégés par la GDN, mais sont marqués d’un filigrane incluant le nom de l’acheteur et le droit d’auteur. Cette pratique n’empêche pas le consommateur d’utiliser son livre sur plusieurs appareils, ni de le prêter à son entourage, mais l’empêche de le diffuser à grande échelle au risque d’être contacté par l’éditeur.

Technologie en voie de développement

Les auteurs, bien qu’étant enthousiasmés par ce nouveau marché, craignent la diffusion illégale et gratuite de leurs livres sur la toile. André Racette, de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois, ne prône pas de solution particulière pour apaiser cette crainte. « On ne veut pas que le public soit emprisonné par des mesures qui soient contre-productives pour la libre circulation des œuvres, mais on veut que les auteurs soient compensés pour l’utilisation de leurs œuvres, qu’elles soient protégées ou non » nuance-t-il. Le livre numérique au Québec en est encore à ses balbutiements ; les mesures à adopter n’ont pas encore été décidées. C’est donc l’occasion de garder l’esprit ouvert et d’observer les autres marchés qui sont déjà en branle pour en tirer des leçons.

Le marché du livre électronique évoluera-t-il dans le même sens que celui de la musique en ligne ? Tous les individus interviewés s’entendent pour dire que non. Monsieur Racette relate l’histoire de l’industrie musicale pour expliquer la différence : « La demande des gens a vraiment devancé l’industrie, les gens se sont mis à vouloir avoir facilement accès à la musique en format numérique et l’industrie de la musique a été très lente à réagir », élabore-t-il. Aucun site ne permettait l’achat de musique en ligne, le téléchargement illégal devenant la plus simple alternative. Dans l’industrie du livre québécois, c’est le contraire qui se produit : l’offre est présente alors que la demande ne l’est pas encore.

Pour le moment, le milieu semble témoigner d’une pointe de progrès et de compromis dont leurs confrères américains et français ne font pas preuve. L’impact que le livre électronique aura sur le marché québécois est, pour sa part, contesté. « Le e‑book ira chercher un nouveau lectorat, des gens qui n’aiment pas lire ou qui n’avaient pas le temps de lire. Il y a dès lors une nouvelle manière de lire » s’enthousiasme Madame Vaugeois. Monsieur Racette exprime toutefois un point de vue contraire. « Il faut voir quels sont les principaux facteurs qui incitent les gens à lire. C’est le niveau d’éducation qui est un des principaux facteurs. Je ne pense pas que parce que les Kindle et les livres électroniques de ce monde apparaissent que le niveau d’éducation et les motivations de lecture changeront pour le mieux. » En somme, un enthousiasme pour le livre numérique est très certainement présent au Québec. La manière dont l’industrie se développera est, néanmoins, encore à déterminer.

Encadré :

Si vous êtes plutôt du type livre en papier, le Salon du Livre de Montréal est un rendez-vous à ne pas manquer.

Où : Place Bonaventure

Quand : Du 17 au 22 novembre 2010

Combien : 8$ (6$ pour étudiants)


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