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L’édito culturel : Don’t Bother

C’est drôle comme on n’hésite pas à crier haut et fort comme on l’aime notre langue, comme elle est belle notre langue, alors que lorsqu’il est temps de la défendre concrètement, peu répondent à l’appel. Rassurez-vous, je ne vous ferai pas endurer un autre discours sur les écoles-passerelles. Ce n’est pas mon département, et d’autres le feront mieux que moi. Non, ce qui m’intéresse, c’est l’apparente ferveur qui nous habite tous lorsqu’il est question de langue, mais qui se double d’un défaitisme implacable lorsqu’il est temps d’agir.

Dans le dernier numéro du Devoir, Odile Tremblay soulignait que les Français se laissent davantage envahir par l’anglais que les Québécois. On l’a souvent remarqué, sans jamais comprendre tout à fait pourquoi. Le fait est que leur situation est très différente de la nôtre : l’anglais, en France, n’est pas perçu comme une menace. Il est vrai que dans notre petit îlot francophone au cœur de l’Amérique, rien n’est acquis. C’est certainement cette position précaire qui nous fait tenir des discours agressifs contre le rest of Canada, voyant en lui la voix dominante qui veut faire taire notre chuchotement.

Même ici, dans la métropole francophone d’une province francophone, ça ne va pas de soi. À l’intérieur de la bulle mcgilloise, plusieurs remettent en question l’existence d’un hebdomadaire en langue française. C’est, du moins, ce dont nous avons pu être témoins lors d’un certain référendum de la Daily Publication Society tenu au printemps dernier. On nous sert le discours du « c’est pas la peine », « don’t bother ». On ne comprend pas l’utilité d’une telle publication, on nous dit qu’on ferait mieux de parler anglais, comme tout le monde. Pourtant, il me semble que c’est dans des situations comme celle-là, dans des environnements où l’anglais est majoritaire, qu’il est plus important de revendiquer la place de notre langue. Si on ne la défend que lorsqu’elle est hors de danger, alors à quoi ça rime ?

Le réflexe qu’ont plusieurs, c’est de se révolter contre l’anglicisation plutôt que de s’assurer, à l’inverse, de la présence d’un français fort qui résisterait de lui-même à l’envahisseur, comme l’a déjà fait un certain village gaulois… Nous avons la chance de posséder une culture riche, indépendante, unique. Notre production cinématographique, musicale et littéraire est importante, notre univers médiatique, développé. Nous avons trop à perdre pour laisser le défaitisme nous gagner. La solution, toutefois, n’est pas de rager contre l’américanisation culturelle qui guette notre coin de pays, mais de faire en sorte que notre culture à nous, dans toute sa précarité, soit si fortement consolidée qu’elle en devienne inassimilable.

Comme il n’y a rien qui ne se fasse sans effort, employons-nous donc à défendre la langue française de façon adéquate. En ce qui nous concerne, ça se fait un numéro à la fois.


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