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Une bonne « louchée » de lucidité

La comédie grinçante et relevée de Simon Boudreault est de retour à l’Espace Libre.

On ne pourrait trouver meilleur titre à l’œuvre décapante de Simon Boudreault, de retour à l’Espace Libre quelques mois après sa programmation initiale. L’aliment pauvre, lourd et gras auquel elle emprunte son nom rappelle l’atmosphère dans laquelle s’enlisent les quatre employées de cafétéria qui campent la pièce, condamnées elles-mêmes à le servir tous les jours à des « flos » ingrats. Au-delà des sacres et des grossièretés qui habitent le texte, Sauce Brune est une fable sur l’isolement et l’incommunicabilité qui fait rire autant qu’elle fait réfléchir.

Chaque jour de la semaine, après avoir présenté son menu peu ragoûtant, Armande (Johanne Fontaine), la « chef cook », retrouve ses trois employées, Cindy (Marie-Eve Pelletier), Sarah (Anne Paquet) et Martine (Catherine Ruel) dans les cuisines glauques d’une école secondaire. 

En coupant des blocs de glaise qui représentent les aliments sans couleur, sans odeur et sans forme quotidiennement apprêtés, les quatre femmes plaisantent, commentent les derniers épisodes de leurs émissions préférées et pestent contre la direction et le comité des parents, qui souhaitent deux souhaitant que la cafétéria serve des menus plus équilibrés. Le ton est, dans ce premier segment, léger et on ne peut plus comique. Mais, au-delà des premières scènes, les quatre femmes révèlent chacune à leur tour ce qui les tourmente et ce qu’elles craignent d’avouer à leurs collègues. Armande redoute de perdre ce cher emploi qui lui permet d’échapper à l’ennui et à l’oisiveté du chômage. Sarah, sachant qu’elle ne pourra s’extirper de sa routine et de son isolement, use de sarcasme et de cruauté. Martine, une femme battue aussi frêle que timide, sent bien que l’on ne cessera jamais de la plaindre, et la pulpeuse Cindy, qui se fait complice de toutes, se convainc que ses charmes lui obtiendront un avenir plus prometteur. 

Ponctuées de sacres et entrecoupées de farces, leurs confessions, portées par des comédiennes chevronnées, donnent à la pièce toute sa complexité et à la sauce un caractère très relevé.

Étirer la sauce

Les sacres, dont l’utilisation est absolument excessive, confèrent eux aussi une teneur très
intéressante à Sauce brune. Tout échange plus ou moins complexe entre les quatre femmes est impossible, chacune se buttant aux limites de son vocabulaire, ponctué des ostie, criss et câliss de convenance. Cindy, tentant de raconter une aventure amoureuse qui s’est entièrement déroulée en silence, aura tout le mal du monde à se faire comprendre : « Des fois, estie, on s’parle, criss, on esaye, câliss, que ça soye… tsé viarge, clair, pis, sacrament, on y arrive pas câliss. Pis là viarge, sans rien s’dire » L’incommunicabilité et la rareté des apartés ou des monologues donnent toutefois l’impression que l’on étire la sauce, que la richesse du texte de Boudreault se perd dans de trop nombreuses farces, et on en vient à oublier la véritable nature des personnages. On espère toutefois que la rentrée culturelle sera à l’image de cette comédie grinçante et ô combien lucide de la compagnie Simoniaques Théâtre qui, malgré quelques longueurs, est tout de même une œuvre hautement intéressante.


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