Aller au contenu

« We don’t need no education »

La projection du documentaire d’Alanis Obomsawin sur l’enseignement du Professeur Cornett, mis à la porte par McGill sans explications, soulève la controverse, à nouveau, sur le campus.

Le documentaire de la cinéaste reconnue Alanis Obomsawin Professeur Normand Cornett : « Depuis quand différencie-t-on la bonne réponse d’une réponse honnête ? » était projeté lundi dernier à l’intérieur des murs de McGill. Rassemblant quelques 200 étudiants, professeurs et citoyens concernés, la projection a remis sur la sellette la controverse entourant le congédiement jusqu’à maintenant injustifié du professeur qui y a enseigné pendant plus de quinze ans.

Non-orthodoxie

Ses anciens étudiants et collègues sont unanimes : les méthodes d’enseignement du professeur Cornett sont non-orthodoxes. Ses étudiants se souviennent d’ailleurs de lui en ces termes : « le Dr. Cornett n’a jamais donné de matière à apprendre par coeur ni d’examen noté, mais je n’ai jamais autant appris dans un cours que dans le sien,» écrivait Emilie Laurencelle- Bonsant, diplômée du Baccalauréat ès arts de McGill en 2007. « Il apprenait à connaître tous ses étudiants personnellement,» mentionne une autre de ses anciens étudiants, Mira Etlin-Stein. Pour ce faire, il donnait un nom à chaque cohorte, demandait aux élèves de se donner un surnom et créait « une réelle communauté d’élèves ouverts et prêts à affronter les sujets les plus difficiles, les moins explorés dans la société en général,» poursuit Émilie Laurencelle-Bonsant. Au total, 80% de la note obtenue par un étudiant revenait à sa participation.

Le professeur Cornett, dans un entretien avec Le Délit, précise qu’il étudie l’intégralité du spectre politique, de façon à faire valoir tous les points de vue. « Les étudiants devraient avoir la possibilité de s’asseoir avec des chefs de file des domaines artistique, religieux et politique, et de leur tenir tête ». Dans cet objectif, il a accueilli dans ses classes l’ex-premier ministre québécois Lucien Bouchard, le musicien Oliver Jones, et la cinéaste documentariste Alanis Obomsawin –elle-même réalisatrice du documentaire présenté à McGill. « Il n’imposait pourtant jamais ses propres convictions », souligne M. Yakov Rabkin, professeur à l’Université de Montréal, dans le documentaire. « Je ne saurais dire de quel côté il pourrait se positionner. Il voulait que les étudiants réfléchissent. »

À la porte !

Le Professeur Cornett s’est vu contraint de quitter son bureau et ses fonctions le 31 mai 2007 sans motifs explicites. Dans le documentaire de Mme Obomsawin, Julius Grey, avocat et professeur à l’Université McGill, défend le professeur Cornett : « Les étudiants aimaient et recherchaient ce cours ». Pour l’avocat, la problématique entourant le licenciement du professeur Cornett est « une affaire plus morale que légale ». Les sous-entendus déferlent sur l’institution McGill. Peut-être une réponse claire suffirait-elle à faire taire le débat, mais M. Gautier, artiste sculpteur, doute que la réponse de l’administration ne vienne. « Cet espèce de politiquement correct dans lequel on baigne me fait très souvent penser à quelque chose qui ressemble fort à de la censure. En fait, c’est bien de cela dont il s’agit » estime-t-il.

Liberté académique compromise

Peter Leuprecht, Directeur de l’Institut d’études internationales à l’Université du Québec à Montréal et ancien doyen de la Faculté de droit à l’université McGill, et l’avocat et professeur Julius Grey abondent dans le même sens dans une lettre ouverte parue dans Le Devoir : ils soupçonnent des restrictions à la liberté académique imposées par l’université. « La façon avec laquelle l’université McGill a traité le Dr Cornett […] semble enfreindre ses propres règlements observent-ils, rappelant que l’université a tout intérêt à expliquer les mesures exceptionnelles qu’elle a prises.

L’administration de McGill se défend pourtant, dans une réponse publiée dans Le Devoir 13 juillet 2007, d’honorer la liberté d’expression : les hypothèses soulevées quant au recours à la censure de la Faculté d’études religieuses n’aurait « aucun fondement ». « L’université n’étant pas une organisation hiérarchique qui exerce son autorité et son contrôle sur les facultés, nous nous sommes assurés que la Faculté d’études religieuses a appliqué les règles et les procédures dans le plus grand respect des valeurs associées à la liberté académique,» répondait le Vice-principal exécutif Anthony Masi au nom de l’administration mcgilloise.

L’affaire a subséquemment été amenée devant la cour : récemment l’administration de McGill a offert un montant d’argent en échange de la signature d’une entente de confidentialité. « Si je signais cette entente, l’administration ne serait plus responsable d’expliciter les raisons de mon congédiement. Et c’est ce qui m’importe », expliquait le Dr.Cornett –dans un français impeccable– au Délit, en soulignant « qu’il n’existe aucun montant qui puisse remplacer le plaisir d’enseigner ».

Ni la doyenne de la Faculté des études religieuses, ni les membres de l’administration n’ont répondu aux questions qu’il leur a posées. La réalisatrice du documentaire, Alanis Obomsawin, n’a également pas trouvé réponse à ses questions auprès de l’administration universitaire.

Professeur Norman Cornett : « Depuis quand différencie-t-on la bonne réponse d’une réponse honnête ? » d’Alanis Obomsawin, Office National du Film, 2009.


Articles en lien