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Récession au Québec : un gouffre sans issue ?

Trois experts se prononcent sur la crise économique lors d’un débat animé par Bernard Derome. Si les diagnostics semblent faire consensus, les pronostics divergent. Cycle naturel ou occasion ratée ?

Le journaliste de renom Bernard Derome a jonglé habilement avec les opinions émises par ses trois compères, le chroniqueur à La Presse Alain Dubuc, le stratège financier chez Scotia Capitaux Vincent Delisle, et le professeur de sociologie à l’UQAM Éric Pineault, lors d’une table ronde sur les impacts de la crise économique organisée le 27 janvier dernier par l’Institut d’Études Internationales de Montréal (IEIM).

« Sombre-t-on davantage dans la crise économique ou en commence- t‑on une autre ? » fut la première question posée aux panélistes. Nouvellement élu président de l’IEIM, M. Derome n’y est pas allé de main morte pour animer la discussion.

Une crise tenace

Alain Dubuc a d’abord pris la parole pour expliquer que la crise économique résultait d’un crédit déraisonnablement accessible. Il a déploré l’attitude de l’administration Bush à cet égard, selon lui, cette dernière « a permis aux Américains d’être propriétaires alors qu’ils n’en avaient pas les moyens. C’était un crédit illusoire ».

Selon le chroniqueur de La Presse, ces prêts accessibles découlaient des attaques de 2001, événement ayant causé des dommages irréparables aux Bourses new-yorkaise et internationale. Toutefois, ce n’est pas la période suivant immédiatement les attentats qui a été la plus affectée par la récession : « L’épicentre de la crise s’est plutôt situé entre 2003 et 2006. Nous en subissons encore les conséquences aujourd’hui », explique Vincent Delisle.

Cette situation précaire s’explique également par des solutions aussi dévastatrices que la crise ellemême. En effet, selon M. Dubuc, « au lieu de [nous aider à nous en] sortir, la baisse des taux d’intérêt a produit l’effet contraire : on s’est enlisés dans un gouffre dépourvu d’issues tangibles. » Pour Éric Pineault, les répercussions se font davantage sentir d’un point de vue sociologique. En 2009, 212 millions de personnes étaient au chômage, soit 34 millions de plus qu’en 2007, d’après le spécialiste.

Repartir à zéro : certes, mais comment ?

La remise en question de l’architecture de notre système économique doit primer, selon M. Pineault. « Nous n’avons pas profité de la crise pour questionner la nature du système », regrette-t-il. Aux yeux du professeur, la solution serait d’abord de redéfinir le type d’économie désiré et ensuite de choisir les moyens appropriés pour reconstruire un système. M. Delisle renchérit les propos de M. Pineault en accusant Obama de taire les conséquences de la récession et de négliger les solutions à entrevoir pour sortir de la crise. M. Dubuc, plus sceptique, est d’avis que le président est prudent et qu’il est beaucoup plus modéré côté réforme.

En ce qui concerne la relance de l’économie, une solution se démarque du lot : le professeur Pineault est persuadé qu’il est nécessaire d’élargir le débat de société. M. Delisle approuve cette idée, tout en demeurant sceptique quant au succès potentiel de cette démarche : « J’aimerais l’adoption d’un tel projet, mais je doute que ça se produise parce que les individus jouissent d’un trop grand confort en tant que consommateurs. »

Qu’en est-il, alors, de l’économie québécoise actuelle ? «[Elle roule] sous un feu vert… dans une zone limite de 30 km/h », estime Dubuc.

Entrevues exclusives

En entrevue exclusive avec Le Délit, Bernard Derome est resté fidèle à lui-même, confirmant que la récession était « l’événement [majeur] de 2009 qui a affecté tous les secteurs et qui se prolongera encore en 2010 ».

Éric Pineault résume sa pensée sur l’issue à la crise financière. Pour lui, elle repose plutôt sur un « choix de société et l’analyse de la nature de la crise » que sur un retour à la recette qui a causé cette crise. 

Christian Pépin, secrétaire à la coordination de l’Association pour une Solidarité Syndicale Étudiante (ASSÉ), a assisté au débat et en conclut qu’on devrait plutôt envisager « d’autres modes d’organisation des sociétés humaines que le capitalisme, défaillant aux plans sociaux et environnementaux ».


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