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Le billet de la Bombe

Choquer pour ne rien dire

Au milieu de la scène se trouve un homme, seul, le regard distant et l’air mélancolique. Son silence baigne la salle dans une délicieuse attente. La « magie du théâtre » est bien installée. Le public espère un monologue, une quelconque tirade qui donnera à la pièce l’essence de son propos. Il se lance. On écoute : « Ah ben fuck ! », sont les seuls mots qu’ils prononcera et répétera pendant toute l’heure et demie de la représentation. Plusieurs rient, sans pourtant cacher une certaine perplexité. Voilà ma première expérience avec une de ces pièces qui se veulent, comme le disait ma prof de CEGEP trop enthousiasmée, « tellement jeune, tellement contemporaine et teeeellement percutante ».

En une seule session ont alors défilé devant moi bon nombre d’oeuvres qui partaient du principe qu’il fallait absolument montrer pour pouvoir dénoncer. Les scènes de sadisme, de torture et de viol ont alors côtoyé la mise en scène de fantasmes sexuels déjantés et de complaintes ô combien « profondes » d’adolescents perturbés. Étais-je soumise à la férule d’un professeur exaltée par la perversion ? C’est fort possible. Mais quelques années plus tard, force est d’admettre que choquer est devenu très tendance au théâtre.

Je vous entends déjà répondre que je ne suis que trop prude et probablement nostalgique du temps où l’on ne mettait en scène que des classiques bienséants. Disons plutôt que peu de pièces ont la force d’assumer entièrement le coup qu’elles veulent porter. La Charge de l’orignal épormyable, de Claude Gauvreau, présentée la saison dernière au TNM était, par exemple, un tableau juste et sombre qui dépeignait la violence sous toutes les formes possibles. Mais il semblerait parfois que la transgression est devenue convention et que de suggérer plutôt que d’en mettre plein la vue n’est plus considérée comme une démarche pertinente.

J’ai longtemps pensé que la « magie » n’opérait simplement plus sur moi, que j’étais devenue immunisée face à la mise en scène de toutes les perversions. Mais le problème est que le désir de choquer à tout prix recélait souvent un grand vide, comme si dramaturges et metteurs en scène avaient mis assez d’efforts à repousser les limites du présentable pour en oublier tout le reste. Le « Ah ben fuck ! » n’avait alors pour but que de faire résonner ce qui ne devrait pas être prononcé. Il y aura toujours exception à la règle, mais je suis quand même bien contente de constater que le vent commence à tourner. On semble maintenant faire de la technologie et des nouveaux médias une béquille incontournable. Tous y vont de leur projection vidéo pour souligner un désir d’évasion qui n’est parfois pas du tout nécessaire. Mais tendance ou pas, les pièces qui se démarquent et qui frappent seront toujours celles qui font confiance à ce que le théâtre peut apporter, même dans sa plus simple expression : un grand texte, une mise en scène juste et une interprétation réellement poignante. 


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