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Gomme balloune et patates chaudes

La décision du gouvernement Harper de proroger le Parlement repousse encore les limites du cynisme politique.

Je ne sais pas pour vous, mais pour ma part, c’est le ventre plein de dinde aux atocas et le mal de tête persistant du verre-de-champagne-de-trop que j’ai posé mon arrière-train sur les honorables bancs d’école mcgillois le 4 janvier dernier. Heureusement (ou malheureusement, c’est selon), la lecture de quelques touffus syllabus a vite eu sur moi l’effet d’une bonne douche froide, et je me suis rapidement remise à mes bonnes habitudes épinards-thé vert-réveil-à‑l’aube. Bon, j’avoue que comme toute résolution du nouvel an, celle-ci risque de glisser plus tôt que tard vers le trio chocolat-vodka-procrastination… mais en attendant l’inéluctable retour au galop du naturel, je profite de la bonne volonté et de l’énergie qu’apporte la promesse d’un renouveau pour croire que cette session sera différente des autres.

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Parlant de résolutions du nouvel an, Le Délit se prend pour Yann Martel et se propose de rédiger la liste des bonnes résolutions du très honorable Stephen Harper. Tout d’abord, on invite le leader du plus meilleur pays du monde à suivre les judicieux conseils promulgués par The Economist et à s’entraîner à marcher tout en mâchant de la gomme !

L’hebdomadaire britannique détaille l’odieux que lui inspire la décision du gouvernement conservateur de proroger le Parlement afin de permettre à l’exécutif de se concentrer sur la reprise économique et les Jeux olympiques de Vancouver. Décision dont tout indique qu’elle ne soit au fond guidée que par l’intérêt personnel du premier ministre, qui cherche surtout à se soustraire aux critiques de l’opposition sur les quelques dossiers « patates chaudes » que sont la torture des détenus afghans et l’échec de Copenhague.

Mais ce qui est d’autant plus troublant, c’est la quasi-absence de réaction du public alors que la première institution démocratique du pays est muselée et déconsidérée. Il y a bien eu un groupe d’une centaine d’intellectuels qui a pris position publiquement, quelques éditoriaux et lettres ouvertes, et les Libéraux qui ont tenté de galvaniser l’indignation de l’électorat par le biais d’une campagne publicitaire… Mais malgré cela, on reste bien loin d’un mouvement collectif, d’une prise de position politique dans la sphère publique. Car si on s’en offusque, ça reste la plupart du temps dans le confort de notre salon ou sur un énième groupe Facebook dont on oubliera rapidement l’existence. Certes, le phénomène n’est pas nouveau : le cynisme et le désintérêt pour la chose politique ne sont pas nés de la dernière pluie. Mais lorsqu’on ne prend même plus position dans l’espace public pour s’offusquer du bâillonnement de ceux que nous élisons afin de prendre position dans l’espace public en notre nom, quelle substance ont encore les mots « démocratie » et « politique » ?

Le philosophe Marcel Gauchet, dans une entrevue accordée au Devoir pour son centième anniversaire, souligne que l’exercice de la démocratie dans le monde moderne « oscill[e] autour de la liberté privée, mais aussi de choix collectifs, d’une volonté d’orienter collectivement le monde par la discussion et la compréhension. C’est cet aspect qui est marginalisé par le découragement démocratique » [italiques ajoutées].

Dans nos sociétés hyper/post-modernes caractérisées par un repli sur soi des individus, la quasi-absence de réaction face à l’effritement de notre système démocratique souligne à grands traits l’urgence de se réapproprier l’espace public afin de reconstruire le politique. La sphère publique est certes investie par une panoplie d’acteurs, mais ceux-ci y défendent de plus en plus exclusivement des intérêts morcelés, corporatisés, voire individualisés. D’où l’importance de cette réappropriation afin d’édifier un sens collectif à travers un discours public, sens auquel tous peuvent contribuer et se rattacher.

La résolution du Délit pour 2010 ? Continuer à vous offrir une plateforme d’expression accessible afin de vous réapproprier l’espace public. On attend impatiemment de vos nouvelles…


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