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Récolter ce que l’on sème : le bio vu par un agriculteur

Curieux de connaître l’effet de la vague bio du point de vue des agriculteurs, Le Délit s’est entretenu avec Mario Doré, président du groupe de relance de l’agriculture et de l’innovation (GRAIN) et producteur de céréales biologiques.

Au tournant du millénaire, une nouvelle tendance s’est imposée dans l’industrie agroalimentaire : l’utilisation d’organismes génétiquement modifiés (OGM). Depuis, les OGM ont été inclus à notre régime alimentaire quotidien, à un point tel qu’il semble difficile d’éviter d’en consommer. En réaction à ces changements controversés, grand nombre de consommateurs se sont tournés vers les produits authentiques et naturels. Propulsée par la forte demande, l’industrie de production biologique a ainsi connu un essor fulgurant, et il est maintenant en vogue de manger bio. Afin de faire la lumière sur l’envers de l’assiette bio, Le Délit a rencontré Mario Doré, président du groupe de relance de l’agriculture et de l’innovation (GRAIN) et producteur de céréales biologiques à Ferme-Neuve, dans les Hautes- Laurentides.

Mario Doré a travaillé à la Ferme Aventure, fondée par son père à la fin des années 50, pendant pratiquement toute sa vie. « Dès l’âge de 13 ans, je me levais tous les jours à cinq heures du matin pour aller faire le train [traire les vaches, NDLR]», se rappelle- t‑il. Quelques années après ses études en zootechnologie à l’Institut de technologie agroalimentaire à Saint-Hyacinthe, il est retourné à la ferme familiale, où il travaille à temps plein depuis 1983. Depuis trois ans, il participe activement au GRAIN, un regroupement d’agriculteurs mis sur pied par le centre local de développement à la suite d’une période de perturbation qu’a connu l’industrie agroalimentaire en 2005. Les membres du comité s’étaient alors donné pour mandat de réfléchir à un moyen de relancer l’industrie agroalimentaire régionale en se spécialisant dans un créneau qui permettrait de les différencier des autres producteurs québécois. La solution fixée afin de rétablir la rentabilité est novatrice : « On a décidé de produire des céréales bio dans la région ».

S’enclenche alors un processus s’échelonnant sur quelques années afin d’obtenir les certifications bio, ce qui nécessite entre autres l’apprentissage de nouvelles techniques de travail. En effet, produire bio exige beaucoup de temps et d’efforts supplémentaires. Le principe, lui, est assez simple : n’utiliser aucun intrant [l’ensemble des produits incorporés aux terres et aux cultures, NDLR] chimique lors du traitement des semences. Les herbicides, pesticides, fongicides, engrais chimiques et OGM sont donc proscrits. Certaines des méthodes alternatives employées pour le travail du sol rappellent des techniques traditionnelles en agriculture : il n’y a qu’à penser au sarclage, aux champs en jachère, à la rotation des terres exploitées et à l’utilisation d’engrais verts. Selon M. Doré, « ces techniques sont clairement moins efficaces, particulièrement concernant le contrôle des mauvaises herbes, mais elles en valent la peine ». Il ajoute d’ailleurs que même s’il n’était pas impliqué dans le GRAIN, il se serait éventuellement converti à ce type d’agriculture respectueux des cycles naturels de la terre. « C’est sûrement meilleur pour la santé de manger bio, mais je le fais aussi pour ma propre santé. Je ne suis plus exposé à toutes sortes de substances chimiques possiblement cancérigènes », affirme- t‑il. Le passage de l’agriculture conventionnelle au bio n’est pourtant pas si simple. En effet, c’est seulement dans quelques semaines que M. Doré devrait vendre son premier lot de céréales certifiées bio, ce qu’il a très hâte de faire !

Si la production de céréales naturelles va bon train, le GRAIN songe à un autre projet : fonder une petite meunerie dans la région. Cette initiative réduirait l’empreinte écologique des produits du groupe d’agriculteurs en éliminant presque le transport des céréales pour la transformation. Ce serait incontestablement une belle manière de conjuguer les aspects « bio et écolo ». M. Doré est d’ailleurs conscient des critiques adressées à l’industrie agroalimentaire provenant de certains écologistes. Toutefois, il souligne que « les effets néfastes sont habituellement causés par la densité de population qui est trop élevée par rapport à ce que le sol peut supporter » et que « dans la région [des Hautes-Laurentides], on est bien moins pires qu’ailleurs ; on respecte largement les normes environnementales ».

S’il est fier du virage bio de la Ferme Aventure, M. Doré est clairement animé par une autre passion : les animaux. À l’étable, son troupeau de vaches laitières compte plus d’une centaine de têtes et, parallèlement à cela, il élève une cinquantaine de chèvres angoras. À sa retraite, il projette d’ailleurs d’exploiter la laine de ses chèvres et de se lancer dans le marché du mohair, une fibre de luxe permettant de concevoir des vêtements de qualité supérieure chauds et résistants. Plus que toute chose, ce projet unique lui permettra de préserver le plaisir du contact avec les animaux. 


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