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La grande séduction

Montréal est-elle trop densément peuplée ? Certainement pas autant que nos régions sont vides. En réaction à l’exode rural auquel assiste le Québec, plusieurs acteurs clés opèrent à contre-tendance. Il reste encore beaucoup de Montréalais à convaincre de plier bagages pour ne les déplier qu’une fois hors de la métropole.

Chaque année, autant d’immigrants qu’il y a d’habitants dans la ville de Val‑d’Or s’ajoutent à la population québécoise. De ce nombre, une proportion grandissante s’installe hors de la grande région de Montréal ; dans celle de la Capitale- Nationale mais aussi dans les autres régions du Québec. Si c’est le cas, pourtant, ce n’est pas le fruit du laissez-faire. Plusieurs y travaillent avec ardeur, à coup de subventions et de brochures, pour parvenir à contrebalancer la force des pôles d’attraction que représentent les centres urbains. « On travaille à contre-tendance », indique Claude Fradette, directeur des affaires publiques et des communications du ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles du Québec (MICC), « mais c’est nécessaire ».

L’attraction inhérente des agglomérations

« On est conscient du fait que les plus grandes villes sont les mieux connues, et c’est une des raisons pour lesquelles les immigrants s’y installent davantage », commente M. Fradette. Ce n’est pas un phénomène propre au Québec pour autant. Le mouvement vers les centres urbains est une tendance mondiale, notamment parce qu’on croit trouver plus facilement du travail dans les villes. Les nouveaux arrivants croient également y trouver plus de gens qui y soient passés avant, qui leur ressemblent et qui pourront les aider.

Mme Spomenka Adzic, citoyenne de la municipalité de Piopolis, dans la région des Cantons-de‑l’Est, en sait quelque chose. Elle a étudié et vécu en Serbie, où elle a notamment lu sur la géographie et l’histoire du Québec. De façon générale, pourtant, elle connaissait « Montréal parce qu’on y avait tenu les Jeux Olympiques, et la ville de Québec de par son caractère historique ». Outre ces deux centres urbains, presque rien ; et cette situation est un problème, selon le MICC. Il faudra mieux faire connaître les régions pour notamment mieux les (re)peupler.

Ce n’est généralement pas un problème pour Montréal de recevoir beaucoup d’immigrants. Le problème réside plutôt dans le fait qu’un Montréal accueillant un nombre trop grand de nouveaux Québécois créerait « deux Québec » selon M. Fradette. D’un côté, le Québec de Montréal, cosmopolite et multiculturel, et de l’autre, le Québec des régions, homogène et vieillissant. « Et cette dualité est hautement indésirable» ; c’est pourquoi il y a urgence de dynamiser nos régions.

Petites et moyennes séductions

Comment fait-on, donc, pour inciter les immigrants à habiter les régions, sans les contraindre à le faire ? Quoique ce ne soit pas une mince affaire, il s’avère néanmoins nécessaire, d’abord et avant tout, de les faire connaître. Selon le MICC, « il faut s’adresser aux immigrants potentiels, et ce, alors qu’ils sont encore à l’étranger. » D’ailleurs, on leur offre présentement la possibilité d’entrer en communication avec des habitants des régions québécoises et d’échanger avec eux sur une foule de sujets. « On cherche à les intéresser », commente le porte-parole du MICC.

S-immigrant En 1996, Mme Adzic faisait partie de ces citoyens potentiels. Considérant les besoins et intérêts de sa famille, on lui avait suggéré de s’établir dans la ville de Sherbrooke au moment où elle s’était adressée à l’ambassade du Canada à Belgrade. « Ma famille et moi ne connaissions pas cette ville au départ, on a même dû prendre une carte pour la repérer. » On l’avait informé qu’il s’agissait d’une ville universitaire, et qu’il y avait des parcs. « Ça a suffit pour nous enthousiasmer. »

Il s’agit également pour le MICC de poursuivre la promotion des régions auprès des immigrants une fois qu’ils sont installés au Québec, surtout lorsqu’ils choisissent de s’établir à Montréal. M. Fradette souligne qu’un petit pourcentage d’entre eux font un « deuxième saut » et déménagent en région après leur arrivée dans la grande ville. C’est pourquoi sont organisées toutes les semaines, à la Grande Bibliothèque, des séances d’information sur les différentes régions du Québec en collaboration avec les services Immigration-Québec des régions concernées. Dans ces rencontres d’information ou ailleurs, les Québécois fraîchement arrivés ont la possibilité de consulter des offres d’emploi, ce qui constitue un des incitatifs les plus forts pour le déménagement en région. Ça a d’ailleurs été le cas pour Mme Adzic. « Dès qu’on a vu une offre d’emploi s’afficher pour Bestar, une entreprise installée à Lac-Mégantic dans les Cantons-de‑l’est, on a voulu y déménager. » Et finalement, la région a plu à la famille. « Je préférais le calme par dessus tout, et c’est pourquoi j’ai aimé Lac-Mégantic dès que j’y ai mis les pieds. Les gens s’y promènent tranquillement et se saluent. »

Tous les immigrants ne se persuadent pas aussi facilement de déménager hors des grands centres pour y rester. Dans cette optique, il faut aussi miser sur autre chose que l’emploi. Il est nécessaire d’amener les municipalités à préparer l’arrivée des immigrants pour qu’elles constituent un milieu propice à l’établissement permanent de nouveaux citoyens pas nécessairement francophones. M. Fradette explique que traditionnellement, le Ministère adoptait des mesures uniformes d’une région à l’autre et celles-ci avaient conséquemment « l’impression de recevoir des immigrants de la part de la ville de Montréal ». Maintenant, le ministère signe plutôt des ententes initiées et élaborées avec ces mêmes municipalités : elles rendent notamment compte du nombre d’immigrants qu’elles peuvent accueillir chaque année, jusqu’au nombre de places qu’elles offriront dans leurs écoles. « De cette façon, les régions se responsabilisent par rapport à l’accueil et l’intégration des nouveaux Québécois. Ça fonctionne beaucoup mieux. » Selon lui, les villes ont une meilleure rétention.

En tout, ce sont vingt-deux de ces ententes qui ont été signées entre le Ministère et les municipalités ou les Conférences régionales des élus (regroupements de quelques municipalités trop petites pour conclure indépendamment des ententes).

Ces nouvelles mesures ont permis une progression du pourcentage de nouveaux immigrants qui s’installent hors de la région métropolitaine, comprenant non seulement la ville de Montréal, mais celle de Longueuil et de Laval. S’il y a eu une nette progression entre les années 2001 et 2006, le taux s’élève maintenant à 18,5%, et connaîtra une augmentation faible mais constante dans un avenir proche, assure le MICC.

La communauté immigrante n’est pas la seule clientèle potentielle pour les régions québécoises qui connaissent trop bien ce qu’est l’exode rural. On mise aussi sur l’ensemble des Québécois, qu’ils soient étudiants, diplômés, ou professionnels.

Les études exo-montréalaises

Pour contrer la force d’attraction qu’exercent les grandes villes universitaires sur les étudiants, le Québec met sur pied l’Université du Québec (UQ) en 1968, à la suite des recommandations du rapport Parent sur la démocratisation de l’éducation. Depuis sa création, le réseau UQ s’emploie notamment à « retenir la jeunesse dans les régions et [à] l’empêcher de s’exiler dans les grandes villes d’où elle ne revenait pas », indique le Dr. André Lemieux, professeur en organisation scolaire à l’UQAM. En effet, le « développement des régions » demeure encore aujourd’hui l’un des trois volets de sa raison d’être.

S-etudiant L’UQ compte maintenant neuf établissements, dont huit hors de la région de Montréal et veut « attirer et retenir des masses critiques de chercheurs, de professeurs et d’étudiants dans des domaines diversifiés correspondant [aux meilleurs atouts des régions québécoises]», comme le dicte sa mission constitutionnelle.

Dans le but de remplir cette mission pas si évidente, le réseau universitaire a d’abord pris corps avec les Universités de Chicoutimi et de Trois-Rivières en septembre 1969, suivi par Rimouski quatre années plus tard.

L’Université du Québec à Chicoutimi, au Saguenay, exploite ses atouts régionaux par l’entremise de ses ressources naturelles, l’aluminium et la production d’hydroélectricité. Si son centre de recherche est articulé autour de ces ressources, c’est aussi dû à la présence d’Alcan dans la région, un géant de l’industrie de l’aluminium au Québec qui a, à Chicoutimi, plusieurs de ses installations énergivores.

L’Université du Québec à Rimouski est connue « pour ses travaux de recherche sur l’océanographie et ses composantes parce qu’elle est situé près du fleuve », indique M. Lemieux. C’est ainsi que les sciences de la mer participent au développement régional.

Les 65 000 kilomètres carrés du territoire boréal sur lequel est établie l’Université du Québec en Abitimi-Témiscamingue font partie des raisons qui expliquent le domaine de recherche de ses chercheurs : les mines et la foresterie. Pareillement, l’Université du Québec à Trois-Rivières mise sur ses avantages comparatifs que sont les arbres pour approfondir ses recherches notamment en matière de pâtes et papiers.

Le bon exode rural

Tout n’est pourtant pas rose avec le réseau UQ. Le jeune réseau qui navigue entre la centralisation et la décentralisation depuis sa création se fait pointer du doigt par sa plus grosse constituante, l’Université du Québec à Montréal. « L’UQAM, avec la moitié de ses programmes et la moitié de ses étudiants, subventionne les universités en région à 50%», souligne M. Lemieux. Les coûts élevés du maintien des installations des établissements hors de la région de Montréal sont en grande partie assumés par l’Université de la métropole et ses étudiants plus nombreux. Cette situation est injuste, d’après le professeur de l’UQAM, essentiellement parce que l’établissement pour lequel il enseigne n’a pas accès à la totalité du montant amassé par ses propres étudiants. Ce montant « est partagé avec les autres établissements du réseau, alors que ce devrait être assumé par toutes les universités du Québec, pas seulement l’UQ. »

C’est pourquoi il indique qu’avec la dernière grève de l’UQAM, en mars dernier, l’Université a tenté d’appliquer un principe analogue à celui de souveraineté-association pensé par René Lévesque pour le Québec au sein du Canada, mais cette fois pour l’UQAM au sein du réseau universitaire. Au lieu de faire partie intégrante d’une seule et même Université du Québec, l’UQAM souhaite plutôt une personnalité juridique et financière autonome.

Une fois le diplôme en poche

Non seulement faut-il offrir aux étudiants de la province d’entreprendre leurs études à l’extérieur de l’îlot montréalais, mais il importe d’autant plus de les informer sur la possibilité d’y utiliser les compétences que leurs diplômes leur confèrent. Et ce, pour une autre bonne raison : il existe un danger supplémentaire à l’exode rural. M. Benjamin Bussière, directeur général de Place aux Jeunes du Québec, pointe celui de l’étalement urbain et de ses conséquences désastreuses en termes écologiques. Les écologistes sont nombreux, en effet, à croire qu’une dilatation croissante des agglomérations conduit à une disparition des terres agricoles, une raréfaction de certaines espèces animales, une augmentation de la dépendance envers l’automobile et une augmentation des dépenses énergétiques en raison de la faible densité de la population de ces quartiers.

Comment devrait-on s’y prendre pour ramener les cerveaux à la maison ? Selon M. Bussière, la solution passe irrémédiablement par la dynamisation des régions, et donc, par le retour des jeunes. Il ne s’agit pourtant pas pour lui de les empêcher de quitter, mais plutôt de « faciliter leur retour ». Pour la moitié de ces jeunes qui s’établissent en région, il ne s’agit pas tellement d’un retour, précise- t‑il, mais plutôt d’une migration ; 50% d’entre eux n’y sont pas nés, et n’y ont pas grandi.

S-professionnelle Pour arriver à convaincre la jeunesse du bien-fondé de l’exode urbain, il faudra d’abord procéder à l’embellissement de l’image des régions québécoises. Si l’on croit généralement que l’économie des régions repose sur les secteurs primaires, il en est tout autrement. « On trouve plusieurs entreprises de technologie avancée qui sont aussi loin que la Gaspésie. Les entreprises qui effectuent des troisièmes et quatrièmes transformations y sont monnaie courante,» rapporte M. Bussière. L’immobilier en région est également plus accessible, l’embauche y est plus facile, le trafic et le stress, quasi-absents et les perspectives familiales, meilleures. Voilà le message qu’il faudrait diffuser par l’entremise des journaux.

Bien entendu, « les petites municipalités ne pourront jamais offrir la même qualité de services en termes de transport en commun, ou de programmation culturelle, par exemple. Il faut se rendre à l’évidence. Pourtant, plus il y aura de jeunes, plus il y aura de projets et plus les régions seront dynamiques, créatrices. Bref, attirantes ». C’est précisément cette logique qu’il importe de construire et de maintenir dans les régions québécoises, selon M. Bussière.

À défaut de discréditer les régions sur de mauvaises bases, il faut plutôt miser sur les avantages comparatifs des milieux ruraux, c’est à dire la qualité de vie propice à la famille, l’emploi abondant et le faible coût de la vie. C’est d’ailleurs ce qu’il entend donner comme mission à Place aux Jeunes du Québec. Effectivement, M. Bussière coordonne l’organisme québécois qui administre chaque année 17 millions de dollars provenant essentiellement des coffres du gouvernement du Québec dans le cadre de sa stratégie d’action jeunesse. Des quatre mandats de Place aux Jeunes, le plus ambitieux prévoit l’exploration de soixante-dix régions par quelques quinze jeunes diplômés pour leur permettre de développer un réseau de contact, de rencontrer des élus, etc. La formule est tellement bien structurée, souligne le directeur, que « les autres provinces canadiennes, la France et, tout récemment l’Espagne, s’inspirent du modèle proposé par le Québec. »

Le Service de planification de carrière de McGill (CaPS) offre le service d’inscription à ces séjours exploratoires. Quoique « peu d’étudiants mcgillois y participent », selon Janice Tester, conseillère en carrière au CaPS, cette possibilité est offerte aux étudiants année après année. Elle reconnaît pourtant que l’Université pourrait en faire plus. « Certains étudiants tiennent à faire carrière en région. Pour chacun de ces étudiants, en fait, il y a toujours une raison en lien avec la famille. Soit il veut y retourner parce que sa famille s’y trouve, soit il veut y aller parce qu’il a l’intention d’y en fonder une. »

Les régions sont présentement dépeintes, injustement, dans des couleurs quelque peu ternes. Elles gagneraient beaucoup à avoir une image enjolivée, ne serait-ce qu’à hauteur de ce qu’elles sont vraiment. Reste à espérer qu’elles sauront charmer ceux parmi nous, immigrants, étudiants et professionnels, qui ont tant apprendre du terroir.


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