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Jurisimprudence

Un couteau à double-tranchant

Situation : vous êtes dans une relation à long terme (union civile ou mariage) et vous avez un enfant avec votre conjointe sans que vous n’en ayez voulu un. À l’hôpital, vous signez tous les deux l’acte de naissance et vous entamez par la suite une vie familiale. Quatre ans plus tard, vous apprenez que l’enfant n’est pas biologiquement le vôtre : il est le résultat d’une aventure amoureuse de votre conjointe.

Devant cette situation bouleversante, on peut raisonnablement penser que le père biologique devra remplir ses responsabilités, surtout en ce qui a trait au soutien financier de l’enfant et, dans une certaine mesure, de la mère. De plus, on peut raisonnablement prévoir que si le père non biologique souhaite rompre la relation qu’il a avec la mère (annulation ou divorce), il pourra exercer un recours contre le père biologique pour les dépenses occasionnées depuis la naissance de l’enfant ou du moins se libérer de l’obligation parentale envers l’enfant.

Mais non. Ces prétentions sont toutes fausses et non recevables en droit québécois. En l’occurrence, le père non biologique demeurera le père officiel, qu’il le veuille ou non, et devra remplir toutes les responsabilités associées à ce rôle. S’il souhaite rompre la relation avec sa conjointe, elle pourra exercer un recours contre lui pour obtenir un appui financier. Qui plus est, le père biologique ne pourra pas contester la filiation de l’enfant. Il ne peut en aucune mesure être associé, en droit, à l’enfant.

Cette logique ne relève pas du droit des obligations extra-contractuelles qui veut que chacun soit responsable de ses actes. D’ailleurs, la logique ne relève même pas du droit en général. C’est une décision de politique publique : la paix familiale prévaut. Le législateur québécois a décidé qu’il fallait protéger l’intégrité familiale en insérant la règle susmentionnée dans le Code civil du Québec. Par ailleurs, le Code prévoit que le père non biologique peut contester la filiation de l’enfant uniquement pendant l’année qui suit la naissance de l’enfant, après quoi tout recours est non recevable.

Cependant, revient-il au législateur québécois de protéger la paix familiale ? L’intégrité familiale ne devrait-elle pas reposer entre les mains des membres individuels de chaque famille ? Il existe bon nombre d’arguments en faveur et en défaveur de l’intervention de l’État dans l’ordonnancement des relations sociales, surtout en ce qui concerne les familles. Est-ce vraiment cette intervention qui maintiendra la paix familiale, dans l’éventualité où le père non biologique voudrait rompre toute relation avec la mère biologique et l’enfant ? Évidemment que non.

Si le père non biologique ne veut plus demeurer dans la relation et qu’il ne veut plus appuyer l’enfant, le Code civil lui répondra en disant qu’il n’en a pas le choix, puisqu’il a signé l’acte de naissance, qu’il y avait une possession conforme à cet acte (vie commune pendant quatre ans) et que la période de prescription est passée. Cependant, la mère ne devrait-elle pas être redevable pour avoir trompé son conjoint ? Du moins, elle devrait être solidairement responsable avec la personne avec qui elle a eu sa liaison pour les risques supplémentaires encourus, et non assumés par le conjoint, en ayant eu une aventure amoureuse. À la limite, les conjoints devraient avoir le choix. Si le père non biologique ne veut plus poursuivre la relation, l’obligation parentale devrait retomber sur le père biologique.

Le droit des obligations ne raisonne malheureusement pas dans cette situation en droit de la famille. Si les Québécois veulent un changement, il faudra qu’ils s’expriment devant l’Assemblée nationale.


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