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Où s’en va Dieu

Le Délit a rencontré Marc Angenot, professeur titulaire de la Chaire James McGill d’études du discours social, afin de parler de son dernier livre En quoi sommes-nous encore pieux ? et de discuter de la place de Dieu dans le quotidien actuel occidental. Bref résumé d’une conversation qui aurait pu durer des heures.

C’est en moins de trois secondes que Marc Angenot a détruit mon hypothèse selon laquelle la société actuelle ne serait pas encline à abandonner la religion. Comme il l’a lui-même si bien dit, il ne sert à rien de faire un dialogue de sourds en cherchant à opposer deux théories complètement différentes. La thèse qu’il défend dans son plus récent ouvrage En quoi sommes-nous encore pieux ? est que les sociétés occidentales se sont laïcisées à un point de non-retour. L’idée n’est peut-être pas nouvelle – elle a notamment été étudiée par la célèbre sociologue française Danièle Hervieux-Léger – mais ce qu’elle présente est pour le moins intéressant ; de nos jours, les gens ne veulent plus de religions telles qu’elles étaient à l’origine, c’est-à-dire « totalitaires », et qui avaient beaucoup d’emprise sur la vie des gens.

C’est grâce à un argumentaire bien ficelé que Marc Angenot soutient son idée. D’abord, la vague de sécularisation qui a déferlé sur l’Occident a atteint un stade irrémédiable. Les religions, afin de conserver leurs adeptes, ont dû se « séculariser » en devenant plus laxistes. La baisse de participation à différents rites, ainsi que le peu de croyances qui perdurent à ce jour, prouvent par ailleurs que les sociétés occidentales ne sont plus pieuses. Selon Marc Angenot, le fait que presque plus personne n’ait de sentiment d’appartenance envers sa religion reflète à quel point le stade de sécularisation atteint n’est pas réversible. Alors qu’il y a tout juste cinquante ans, les gens se seraient littéralement battus pour défendre leurs convictions religieuses, très peu de gens se sentent interpellés par leur religion aujourd’hui. Les réactions provoquées chez les catholiques par les déclarations du pape démontrent combien l’unicité de la voix religieuse est chose du passé.

C’est un autre point que soulève Marc Angenot dans son ouvrage ; l’unicité de la religion fait place à la religion à la carte, un morcellement des différentes fonctions originellement attribuées à l’Église. La religion a longtemps été une « machine à créer du social » en plus d’être l’agent principal du sacré. Or, l’État a désormais pris en charge toutes les responsabilités reliées à la société, telle l’éducation et la santé. La spiritualité se substitue à la foi et les commandements de l’Église qui réglaient autrefois la société ne font plus peur à personne. Avec ce morcellement de la religion, on assiste à l’avènement d’un phénomène sans précédent : le « sacré-privé » qui, comme son nom l’indique, est l’insertion d’éléments liés au sacré dans la vie personnelle, sur une base privée, et non plus dans le cadre  de la religion. Parmi des exemples de « sacré-privé », on peut penser à certaines pratiques de médecine douce, le culte du corps ou alors même l’emprise de l’environnement dans la vie de certaines personnes.

Si les sociétés occidentales actuelles sont plus sécularisées qu’elles ne l’ont jamais été, Marc Angenot ne croit pas qu’il s’agisse d’un simple effet de balancier comme on en retrouve à multiples reprises dans l’Histoire. Ainsi, si l’hypothèse de Marc Angenot s’avère juste, nous serions les témoins de la disparition des religions telles qu’elles ont été connues au cours des deux derniers millénaires en Occident. À voir.

Un remerciement tout spécial à Marc Angenot


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